L’horloger
Huile sur toile d’Édouard Kaiser père (1890)


Pour faire suite à mes articles sur la théorie de l’évolution et ma récente référence à la biologie moléculaire, voici la traduction adaptée d’un extrait de God and Science du mathématicien Richard L. Thompson, notamment réputé pour ses recherches en physique quantique.

Les scientifiques modernes interprètent les vestiges fossiles comme étant représentatifs de l’histoire du développement graduel de la vie selon la théorie néodarwinienne de l’évolution, élaborée après la Seconde Guerre mondiale pour intégrer la génétique mendélienne aux hypothèses originales de Darwin.

La théorie de Darwin repose entièrement sur les lois de la physique et le hasard. Pour reprendre les mots du biologiste et éthologiste Richard Dawkins, cette théorie attribue l’origine des espèces vivantes à un «horloger aveugle» foncièrement dénué d’intelligence et de dessein. On comprend dès lors que ladite théorie soit aussi fermement rejetée par les créationnistes et tous les tenants d’une quelconque forme d’intervention divine ou providentielle dans l’apparition de la vie.

Il n’y a en principe aucune raison pour que l’évolution telle qu’imaginée par Darwin ne puisse être la méthode de création des espèces choisie par Dieu. Dans la pratique, par contre, cette théorie présente en soi plusieurs obstacles à une telle interprétation. Pour tout dire, de toutes les théories scientifiques actuelles, la théorie néodarwinienne de l’évolution est sans doute celle qui prête le plus facilement flanc à la critique.

Que le véritable aveugle se lève

D’entrée de jeu, la théorie de Darwin n’a jamais pu expliquer en détail comment des organes aussi complexes qu’un cerveau ou un œil peuvent venir à se former. L’idée générale mise de l’avant est que tout organe se développe à travers une série de petites étapes successives. L’œil, par exemple, est tenu pour n’être au départ qu’une zone sensible à la lumière qui se creuse peu à peu et acquiert ainsi une sensibilité directionnelle sous l’effet de l’ombragement. La cavité ainsi formée se referme ensuite jusqu’à ne plus laisser qu’un orifice sur lequel se forme une peau translucide agissant comme une lentille grossière capable de recueillir la lumière et de la focaliser. Divers perfectionnements s’ajouteraient avec le temps jusqu’à donner un œil parfaitement constitué.

Le grand problème de cette approche est qu’il faut y croire aveuglément. Il n’existe en effet aucun moyen de la vérifier comme nous pouvons le faire avec la théorie de Newton, en calculant, par exemple, l’orbite d’une planète pour ensuite constater par voie d’observation que la planète suit effectivement cette orbite.

L’œil est beaucoup trop complexe pour se prêter à ce genre de simplification, et plus nous l’étudions, plus sa complexité grandit. Compte tenu des récentes avancées en biochimie, la tâche consistant à expliquer l’origine des organes complexes et de leurs fonctions devient de plus en plus imposante. À l’époque de Darwin, la cellule vivante semblait n’être qu’une simple poche remplie d’éléments chimiques, alors qu’aujourd’hui, elle est considérée comme une machine moléculaire de haute précision d’une complexité infiniment plus grande que celle de nos ordinateurs les plus perfectionnés.

«Il se pourrait que nous ne parvenions jamais à retracer les étapes par lesquelles l’organisation de l’œil est passée de l’état le plus simple à l’état achevé, tout en préservant les liens entre elles – le merveilleux pouvoir d’adaptation conféré à l’organisation. C’est sans doute là le plus grand écueil à toute cette théorie.»

Charles Darwin, Notes on Transmutation

Le biochimiste Michael Behe est un de ceux qui ont souligné le fait que les découvertes effectuées au sein de sa discipline sont extrêmement difficiles à expliquer d’un point de vue darwinien. Il précise d’ailleurs que bien que la science se soit intéressée à l’origine des systèmes biomoléculaires, aucune étude ni aucun article scientifique n’a jamais été publié sur la façon dont l’évolution est concrètement supposée opérer au niveau moléculaire. Autrement dit, la science n’a à ce jour dégagé aucune explication plausible à l’évolution moléculaire.

Avec ou sans œillères?

On peut bien sûr arguer que les vagues hypothèses évolutionnaires sont recevables tant qu’elles ne peuvent pas être réfutées de manière décisive. Après tout, la théorie de Darwin semble applicable dans beaucoup de cas simples. Elle est compatible avec les théories solidement éprouvées en physique, et elle évite à ces dernières d’avoir à emprunter d’éventuelles avenues créationnistes ou surnaturelles pour combler ce qu’elles ne parviennent pas à expliquer.

Cela dit, la question demeure entière: est-ce que tout est strictement gouverné par des lois mathématiques impersonnelles, ou existe-t-il une interface matière-esprit? Le cas échéant, il y aurait peut-être lieu de pallier les lacunes de la théorie de l’évolution en réintégrant d’une façon ou d’une autre les notions d’intelligence et de dessein. En redonnant la vue à l’horloger…

Encore une fois, la science est loin de pouvoir expliquer tous les phénomènes naturels et tous les aspects de l’expérience humaine. Et plus elle progresse, plus elle découvre l’étendue de ce qu’il lui reste à découvrir. Le plus grand des dangers serait de bloquer l’avancement de la connaissance en cherchant à imposer prématurément des conclusions définitives dans un sens ou dans l’autre.

L’horloger peut-il vraiment être aveugle?