Dans la série «L’âme, cette inconnue», inspirée des textes védiques...
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Qui ne s’est pas demandé ce qui l’attendait après la mort? Est-ce qu’on n’a qu’une vie? Est-ce qu’on renaît sous une autre forme? Ou est-on plutôt transféré vers un autre plan d’existence? En remontant le fil de l’histoire, les témoignages que nous ont laissés nos prédécesseurs à travers les âges donnent à penser que l’humain se pose ces questions depuis toujours.
Ce questionnement est d’ailleurs loin d’être banal. Nos choix de vie sont en effet fortement influencés par nos convictions quant à notre ultime destinée. Si je crois n’être que le corps à travers lequel je perçois l’univers et interagis avec lui, persuadé que mon existence prendra fin avec celle de ce corps, mes préoccupations ne seront pas les mêmes que si j’envisage un quelconque prolongement de la vie au-delà de mon passage sur terre. C’est ce qui fait dire à plus d’un: «On ne vit qu’une fois. Profitons-en au maximum.»
Si je crois que d’autres vies m’attendent et que l’on récolte ce que l’on sème, j’aurai sans doute davantage tendance à vivre de façon à mettre toutes les chances de mon côté de renaître dans des conditions favorables. Et si je crois en l’Au-delà ou en un royaume divin, je serai vraisemblablement plus motivé à me bonifier dans l’espoir d’accéder au Saint des saints après ma mort.
Comme si de rien n’était
Les Védas en ont beaucoup à nous apprendre à ce sujet, à commencer par la Bhagavad-gita, qui présente la mort comme un passage naturel dans l’ordre des choses:
«À l’heure de la mort, l’âme change de corps, tout comme elle l’a fait en passant de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas le sage.»
Bhagavad-gita 2.13
«De même qu’on se défait d’un vêtement usé pour en revêtir un neuf, l’âme quitte un corps devenu inutile pour en revêtir un nouveau.»
Bhagavad-gita 2.22
Nous savons aujourd’hui que toutes les cellules de notre corps sont périodiquement renouvelées. Nous avons donc déjà imperceptiblement changé de corps à plusieurs reprises depuis notre naissance. Imperceptiblement d’instant en instant, mais avec le recul des années, il nous apparaît très clairement que nous n’avons plus notre corps d’enfant, d’adolescent ou de jeune adulte.
Ce phénomène souligne le caractère éphémère et transitoire du lien qui unit l’âme au corps. Et l’impermanence de ce lien fait bien ressortir la nature fondamentalement différente du corps et de l’âme.
Alors que le corps se transforme complètement au fil de ses mues, et que nos anciennes peaux sont remplacées par de nouvelles, l’identité de l’âme ne s’en trouve aucunement affectée. Nous avons toujours le sentiment d’être la même personne qu’il y a dix ans ou vingt ans. À travers tous nos changements de corps, nous percevons notre existence comme un fil continu et ininterrompu. De là à comprendre que la nature du corps est radicalement différente de celle de l’âme qui l’habite, il n’y a qu’un pas.
De fil en aiguille
C’est d’ailleurs cette différence fondamentale entre l’âme et le corps, expliquent les Upanishads, qui fait qu’une âme peut passer d’un corps donné à un corps complètement différent. Alors que par la nature même de sa constitution, le corps ne peut que se dégrader avec le temps, jusqu’à devenir inutilisable, l’âme reste identique à elle-même. Elle ne change pas et elle ne vieillit pas. De sorte que lorsqu’un corps cesse d’être viable, l’âme doit tout naturellement en revêtir un autre.
Les textes védiques ne laissent en effet planer aucun doute sur la réincarnation ou la métempsychose. L’âme étant éternelle, elle doit changer d’habitacle lorsque son véhicule terrestre n’est plus bon que pour la casse. Ainsi se poursuit sa route, tant et aussi longtemps qu’elle ne profite pas de la forme humaine pour renouer avec sa spiritualité immanente et réintégrer sa condition première, libre des contraintes que lui impose le monde de la matière.
Au premier chef de ces contraintes, les imparables lois de la nature, dont celle du karma. Ce sont en effet les agissements d’une personne au cours de sa vie qui façonnent son état de conscience à l’instant de la mort. Et les conséquences de ses actes qui déterminent les conditions dans lesquelles elle renaîtra ainsi que la forme dans laquelle elle en récoltera les fruits.
«Ce sont les pensées, les souvenirs de l’être à l’instant de quitter le corps
Bhagavad-gita 8.6
qui déterminent sa condition future.»
Tous les espoirs sont donc permis, à condition de s’y prendre un peu d’avance, tout de même…
L’embarras du choix
S’il est un point important à retenir ici, c’est que les lois de la nature n’ont cours que… dans la nature! C’est-à-dire sur le plan matériel. Or, l’âme n’est pas de nature matérielle, mais spirituelle. Par conséquent, elle n’est pas en soi soumise à ces lois. Elle n’en subit les effets par la bande que tant et aussi longtemps qu’elle s’identifie au corps qui l’enveloppe. À ses sens et aux plaisirs fugaces que lui procurent leurs objets. À son mental et aux émotions qu’y suscitent ses interactions avec son environnement matériel.
Ce qui veut dire que l’âme n’a pas à perpétuer le cycle des morts et des renaissances sur le plancher des vaches. Selon la nature et la qualité de ses désirs et de ses attachements, selon le niveau de conscience qu’elle a pu cultiver au cours de son séjour sur terre, elle peut en effet, à l’heure de la mort, s’envelopper d’une énième forme matérielle ou se manifester dans toute la splendeur de sa forme spirituelle et éternelle.
Vue sous cet angle, la mort prend une allure beaucoup moins triste, car elle ne marque pas la fin de tout, mais bien le début d’une nouvelle vie. C’est pourquoi le sage ne s’en formalise pas plus que des innombrables changements que subit le corps au cours de son existence. Il sait fort bien que seul le corps meurt, et que l’âme change simplement de voiture ou de logement.
Toujours plus loin, toujours plus haut
Faute d’avoir été instruits en ce sens ou d’avoir pris la peine et le temps de fouiller sérieusement la question, la plupart des gens ignorent qu’ils ont le choix de leur destinée. Nous avons en outre du mal à imaginer que nous avons un corps spirituel, libre des limitations de notre corps matériel et des contraintes de la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Nous vivons pourtant en rêve les aventures les plus incroyables, sans aucune conscience de notre corps et sans aucune limite autre que celle de notre imagination et de notre volonté.
Imaginons donc une existence non pas de fantôme ou de chérubin sur un nuage extraterrestre, mais d’être spirituel à part entière, doté de sens parfaits plutôt qu’imparfaits, d’un mental purifié de tous ses tourments et d’une intelligence sans faille. Ne restons pas limités par notre conception physique ou même subtile de l’univers. Il existe bel et bien d’autres plans d’existence, nettement plus évolués que celui dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Nombre de saints, sages et yogis en ont témoigné depuis le début des temps. Et nombre d’écrits en font la description.
Beaucoup d’humains se contentent tant bien que mal de leur sort et ne manifestent aucun intérêt pour la dimension spirituelle de l’existence. Mais ceux et celles qui cherchent à percer le voile qui leur cache la vue de cette dimension supérieure ont la possibilité de le faire en poursuivant leur quête du soi et de l’Absolu. Cela ne se fait pas sans y mettre les efforts voulus, mais on n’a rien sans rien, et ce sont, après tout, nos actes présents qui décident de notre condition future.
En attendant, je dois vous quitter, car j’entends qu’on m’appelle: «Les voyageurs à destination du monde spirituel sont priés de gravir l’échelle du yoga jusqu’au portail d’embarquement.»