Rupert Sheldrake
Photo de Hanna-Katrina Jedrosz


Dans la première partie de ce billet, j’ai souligné les similitudes et les différences entre science matérielle et science spirituelle. J’ai aussi abordé la question du scientisme et survolé les abus qui lui sont imputables. Dans cette deuxième et dernière partie, je laisse le soin à un scientifique de faire le point sur le dogmatisme inhérent au scientisme et sur la façon de s’en affranchir.

En 2013, Rupert Sheldrake, docteur en biochimie diplômé de l’Université Harvard, notamment réputé pour ses travaux en biologie cellulaire à l’Université Cambridge, et auteur de nombreux ouvrages scientifiques, était invité à donner une conférence TED dans le cadre d’une soirée dont le thème était la remise en question des paradigmes existants et l’ajustement de nos valeurs en vue d’un monde meilleur.

Le scientifique de formation et de profession jugea l’occasion opportune pour mettre son auditoire en garde contre le leurre et le dogmatisme de la science actuelle. Autrement dit, contre le caractère absolu du paradigme scientifique, devenu dominant dans nos sociétés. Car, de même que tout ce qui peut avoir l’air spirituel ne l’est pas forcément, plusieurs visages de la science révèlent des travers qui trahissent ses limites et ses abus, et qu’elle s’efforce de taire par tous les moyens en promettant de trouver un jour les réponses qui lui échappent encore.

Permettez-moi donc de vous résumer quelques-uns des points soulevés dans le TED de monsieur Sheldrake.

L’illusion sous-jacente au scientisme tient à la croyance que la science a déjà globalement cerné la nature de la réalité et qu’il ne lui reste que quelques détails à préciser, alors que rien n’est plus faux. Il y a une dizaine d’années à peine, le Dr Aleksey Fillipenko, astrophysicien et prix Nobel de physique, déclarait sans détour que la science ne connaît et ne comprend plus ou moins que 4% de l’univers, et qu’elle n’a aucune idée de ce que recèlent les 96% restants.

Force est de reconnaître qu’il y a un conflit entre, d’une part, la science comme méthode de recherche fondée sur la formulation d’hypothèses, l’expérimentation et l’examen objectif des résultats d’analyse, et, d’autre part, la science comme système de croyances ou vision du monde. Or, cette dernière, issue du matérialisme philosophique en vogue depuis le 19e siècle, en est venue à inhiber et à restreindre la liberté de recherche au fondement même de la démarche scientifique.

Dogme ne rime pas avec science

Il en a résulté une série de dogmes fondamentaux qui confortent les scientistes dans leur position actuelle, mais qui n’ont rien de scientifique et qui doivent être déboulonnés pour remettre la science sur les rails et ouvrir la porte à de nouveaux champs d’exploration.

Les dogmes qui définissent aujourd’hui la vision du monde de la plupart des gens éduqués sont à la base de tous les systèmes d’éducation, de santé et de gouvernement. Il s’agit d’autant d’idées reçues, tenues pour plausibles dans l’état actuel de la science, mais dont aucune n’a jamais été prouvée et dont rien ne justifie la pertinence. Ce qui veut dire qu’elles peuvent tout aussi bien être complètement fausses. Pourtant, toutes les recherches scientifiques demeurent fondées sur ces assomptions constitutives du credo actuel de la science!

Sheldrake mentionne une dizaine de ces dogmes que personne dans les rangs de la communauté scientifique dominante n’oserait contester. Il y aurait beaucoup à dire sur chacun d’eux, mais je me contenterai ici de les énumérer et de vous laisser réfléchir aux aberrations, voire aux non-sens qu’elles recèlent.

La nature n’a aucune raison d’être et ne poursuit aucun dessein. Elle est, un point c’est tout. Les processus évolutifs ne suivent eux-mêmes aucune direction particulière.

La nature est purement mécanique. L’univers fonctionne comme une machine. Les animaux et les plantes sont des machines. Nous ne sommes nous-mêmes que des machines complexes dotées d’un cerveau-ordinateur génétiquement programmé.

La nature est inconsciente. Il n’y a de conscience ni dans les étoiles, ni dans les galaxies, ni dans les plantes, ni dans les animaux, et il n’y a aucune raison pour qu’il y en ait en nous. Tout n’est dû qu’à des interactions physicobiochimiques.

Notre esprit se trouve dans notre cerveau. La conscience n’est rien d’autre que l’activité du cerveau, et nos souvenirs sont emmagasinés dans des terminaisons neuronales sous forme de protéines. Personne n’a la moindre idée de la façon dont cela fonctionne, mais pratiquement tout le monde dans la communauté scientifique croit que conscience et souvenirs ont leur siège dans le cerveau.

Les phénomènes psychiques sont impossibles. Nos pensées, nos désirs et nos intentions ne peuvent avoir aucun effet hors du cerveau puisque son activité ne peut s’étendre au-delà de notre boîte crânienne. Toute preuve apparente à l’effet du contraire ne peut donc être qu’illusoire.

La médecine mécaniste est la seule qui fonctionne vraiment. Aucune autre approche thérapeutique ne peut réellement être efficace, puisqu’elle n’obéit pas aux règles mécanistes. Résultat: les gouvernements ne couvrent que les traitements qui relèvent de la médecine moderne.

La quantité totale de matière et d’énergie reste toujours la même depuis le Big Bang.

Les lois de la nature sont fixes. Elles sont identiques à ce qu’elles étaient au moment du Big Bang, et elles resteront à jamais les mêmes. Les constantes inhérentes à ces lois sont elles-mêmes tenues pour fixes, d’où leur nom de constantes.

Le miracle du Big Bang

À vrai dire, toute la science moderne repose sur un pur miracle, celui de l’apparition, en un instant et de nulle part, de toute la matière de l’univers, de toutes les énergies de l’univers et de toutes les lois qui les gouvernent. Et c’est sur la base de ce miracle que nous tentons d’expliquer tout le reste.

N’oublie-t-on pas un peu trop rapidement que la théorie du Big Bang, née du constat de l’expansion de l’univers, n’est que la dernière en lice? Avant 1948, c’était la théorie de la relativité générale qui avait la cote, soit un modèle fondé sur la gravitation comme une propriété de l’espace-temps, et selon lequel l’univers pouvait être statique, en expansion ou en contraction. Et avant 1900, le modèle de l’univers en vigueur était basé sur la physique newtonienne, qui considérait la gravitation comme une force instantanée entre les masses, et selon lequel l’univers était statique, infini et uniforme. Qui sait, donc, ce que nous réserve le prochain modèle cosmologique?

Car rien n’est coulé dans le béton. À preuve, les fameuses «constantes» fondamentales au cœur des lois de la nature et au fondement de la science actuelle. Deux exemples suffiront à illustrer ce point: celui de la vitesse de la lumière et celui de la constante de gravitation.

La vitesse de la lumière

Les archives sur la mesure de la vitesse de la lumière en de multiples points du globe révèlent qu’elle a diminué d’environ 20 kilomètres par seconde entre 1928 et 1945, et qu’elle a ensuite commencé à augmenter. Étant par la suite devenue relativement plus stable, il fut convenu, en 1972, de la fixer définitivement par définition afin d’éviter d’avoir à composer avec des valeurs changeantes de ce que toute la communauté scientifique considère comme une «constante» fondamentale, alors qu’elle n’a jamais été constante et que rien ne laisse supposer qu’elle pourrait l’être un jour.

Plutôt que de la fixer arbitrairement, ne serait-il pas plus scientifique et instructif de chercher à comprendre pourquoi elle n’est pas constante? Dans l’état actuel des choses, nous n’en saurons jamais rien car nous avons réglé tous les appareils qu’utilisent les chercheurs en fonction de la valeur que nous lui avons donnée.

La constante de gravitation (G)

Cette valeur a varié de plus de 1,3 pour cent depuis l’an 2000, et elle semble varier non seulement dans le temps, mais aussi d’un endroit à un autre. Différents laboratoires mesurent G, obtiennent différents résultats d’une journée à l’autre, et en dégagent une moyenne. D’autres laboratoires à travers le monde font de même, et obtiennent des moyennes différentes. Et tous les 10 ans, le comité international de métrologie se réunit et fait la moyenne des moyennes obtenues par tous les laboratoires du monde pour fixer la valeur de la «constante» G pour les 10 années à venir!

Nous avons là deux bons exemples d’inhibition de la libre recherche par un dogme. Pourquoi chercher la mesure dans laquelle G et la vitesse de la lumière peuvent varier puisqu’il doit forcément s’agir de constantes? Toute variation ne peut donc être due qu’à une erreur de mesure… Des milliers d’erreurs de mesure, à répétition, et dans tous les laboratoires du monde? Cherchez l’erreur!

La science est morte, vive la science!

En guise de conclusion, Rupert Sheldrake nous rappelle que le plus grand problème non résolu de la science est celui de la nature de l’esprit. En effet, la science ne parvient pas à composer avec le fait que nous sommes bel et bien conscients. Non plus qu’avec les indications à l’effet que nos pensées, nos souvenirs et nos expériences ne se trouvent pas vraiment dans le cerveau. La question de savoir comment un ensemble de molécules dépourvues de conscience peuvent se combiner pour faire naître la conscience mérite d’être élucidée, ou remplacée par une compréhension plus fine de ce phénomène indissociable de la vie.

Sheldrake répète à qui veut l’entendre:

«Je ne suis pas contre la science. Je suis moi-même un scientifique. J’ai passé ma vie à faire de la recherche. La totalité de ma carrière est en science. Je suis néanmoins conscient des limites de la science actuelle, et je suis persuadé que si on remettait en question chacun des dogmes qui la paralysent, d’importants champs de recherche s’ouvriraient à nous et nous permettraient d’explorer et de comprendre d’autres aspects de la réalité qui échappent totalement à la science strictement physique, mécaniste et matérialiste.»

Malgré tout, TED s’est par la suite vue contrainte par des instances anonymes de retirer la conférence de Rupert Sheldrake de son réseau sous prétexte que ses propos constituaient une menace à l’ordre établi. Il n’en fallait pas plus pour que l’homme devienne controversé, mais aucun scientifique n’a depuis osé contredire ouvertement sa présentation des faits et son analyse de la situation.

«Le jour où la science commencera à étudier les phénomènes autres que physiques, elle fera plus de progrès en une décennie qu’elle n’en a fait depuis tous ces siècles qu’elle existe.»

Nikola Tesla
La science sous l’œil de la science (2/2)