Quel visage donnons-nous au présumé responsable de la présente situation mondiale? On dit souvent que la réalité dépend du point de vue de l’observateur. Il se peut donc que le visage en question varie considérablement d’une personne à l’autre, et que la perception que nous en avons soit faussée par nos biais personnels.

La pandémie qui sévit depuis un an suscite des réactions allant de la peur à la colère et de la dépression aux remises en question, en passant par les élans d’aide humanitaire et les soulèvements populaires. De nature indubitablement virale et dévastatrice pour beaucoup, elle n’est pour d’autres qu’une vaste mascarade, qu’une pandémie de désinformation savamment orchestrée pour asservir les populations aux puissances de ce monde.

Êtes-vous plutôt du genre pan-demie pleine ou pan-demie vide? Quant à moi, l’empêcheuse de tourner en rond devrait carrément s’appeler pan-totale, car elle ne fait vraiment pas les choses à moitié! Elle s’est peut-être insinuée dans nos vies à demi-mots après avoir démarré en demi-teintes, laissant croire à un phénomène localisé face auquel tous les espoirs étaient permis grâce à la science et à la technologie modernes, mais il s’est vite avéré que l’instigateur de cette déferlante n’était pas une demi-portion. L’heure n’est pas encore aux bilans – loin de là –, mais nous avons d’ores et déjà eu suffisamment maille à partir avec l’impitoyable ennemi invisible pour revoir nos positions.

Papiers, s’il vous plaît

Qui est-il donc, à la fin, ce mystérieux ennemi capable de transformer l’espace public en véritable pandémonium? Capable de couper les moteurs et de stopper les machines d’une planète tout entière en moins de temps qu’il ne faut pour se retourner? Capable de diviser les gens entre eux mieux que n’importe quelle campagne électorale ou match de finale?

Complotistes et conspirationnistes n’hésitent pas un instant à lui donner le visage de Big Brother ou Big Pharma, alors que les autres, qu’ils soient pro- ou anti-masque, pro- ou anti-vaccin, pro- ou anti-confinement et couvre-feu lui donnent plutôt le visage d’une boule rouge, verte ou blanche couverte d’excroissances tentaculaires avides de s’accrocher quelque part pour accomplir leur œuvre pandémoniaque.

Et si le véritable ennemi était tout autre?

Sus à l’intrus

Remettons d’abord les choses en perspective. Il y a toujours eu des épidémies et des pandémies. Il y a toujours eu des jeux de pouvoir et des manœuvres de toutes sortes pour manipuler l’opinion publique et contrôler les masses. Comme il y a toujours eu des guerres, des famines et des catastrophes naturelles. Autant d’ennemis avec lesquels nous vivons depuis toujours.

Pour reprendre les mots du Shrimad-Bhagavatam : padam padam yad vipadam na tesham, nous vivons dans un monde où il y a du danger à chaque pas et à chaque instant. Il y en a toujours eu, et il y en aura toujours. Ne serait-ce, sur le plan strictement personnel, que sous la forme de la maladie, de la vieillesse et de la mort inéluctable.

Qu’a donc ce nouveau couronné de si différent pour nous plonger dans un tel émoi?

Il a qu’il vient jouer dans notre jardin sans aucun respect de la distanciation nécessaire pour nous accorder le sentiment que tout ne va pas si mal et qu’il y a pire ailleurs. Il a qu’il nous prend tous en otage d’une façon ou d’une autre, et tous en même temps, sans exutoire apparent sinon à nos risques et périls, comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment péril en la demeure!

La goutte qui fait déborder le vase

Nous vivons en effet en permanence avec le plus mortel des virus qui soit : celui de l’illusion d’être le corps dans lequel nous traversons l’existence, et dont le taux de létalité est de 100%! Mais nous n’en faisons d’ordinaire que peu de cas, parce que nous cultivons volontiers l’impression qu’il nous reste toujours encore du temps avant d’être fauchés.

«En proie à l’illusion sous l’emprise de l’énergie matérielle, une personne s’identifie à son corps et, au profit de son corps, s’attache à toutes sortes d’activités.»

Shrimad-Bhagavatam 4.29.27

Dans l’intérim, nous nous habituons à tolérer les aléas du quotidien – de moindres maux –, tant et aussi longtemps, cependant, qu’ils ne frappent pas trop fort et qu’ils nous laissent le loisir de reprendre notre souffle, de ventiler, d’évacuer ou de nous évader un moment. Mais là, c’est la pan-totale, toutes les issues semblent barricadées, et sans doute pour un bon moment encore. Plus de sorties entre amis, plus de voyages, plus de restos, plus de magasinage, plus de spectacles, plus de soupers de famille, plus de BBQ, plus de sports d’équipe… Trop, c’est trop!

Que le véritable ennemi invisible se lève

Tout cela est bien sûr fort dérangeant. Personne n’oserait le nier. Mais si vous me permettez un brin de philosophie, l’ennemi invisible qui nous complique la vie comme pas un n’en cache-t-il pas un autre plus insidieux et plus redoutable encore? Ne nous confronte-t-il pas au fait que nous avons tendance à chercher le bonheur à l’extérieur de nous-même plutôt qu’en notre for intérieur? Et que nous devenons vite désemparés dès lors que nous ne pouvons plus jouir de la vie comme nous l’entendons sur le plan physique, émotionnel et intellectuel?

Pour goûter la plénitude et la sérénité du bonheur en soi, sans dépendre à tout prix des plaisirs dont nous ne pouvons jouir qu’à travers notre corps grossier ou subtil, il faut toutefois d’abord connaître le soi.

Le corps peut nous faire faux bond à tout moment, tout comme le monde qui nous entoure – nous en faisons actuellement la cruelle expérience comme peut-être jamais depuis le début de notre présente existence. Mais le soi reste égal à lui-même en toutes circonstances. Les pandémies passent et le soi demeure. Il n’est pas directement touché par l’énergie matérielle et toutes les mésaventures du corps. Il en subit toutefois les contrecoups lorsqu’il croît être ce corps et en oublie son identité réelle, à proprement parler spirituelle.

Si nous ne prenons pas la peine de chercher à mieux nous connaître et à mieux comprendre notre raison d’être, le visage de notre pire ennemi n’est sans doute pas celui de la pandémie, mais bien plutôt de la complaisance, autrement dit d’une vision à court terme de notre bonheur fondée sur une conception purement matérielle de l’existence et une vision défaillante de notre identité réelle.

Oui, à bas l’ennemi invisible, mais essayons de ne pas nous tromper de cible!

À bas l’ennemi invisible!