Étienne Klein, physicien et vulgarisateur scientifique

Dans Le goût du vrai, récemment publié chez Gallimard, Étienne Klein, physicien et vulgarisateur scientifique, mais aussi philosophe des sciences et directeur de recherche au Commissariat français à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), s’inquiète de la tendance de plus en plus répandue à formuler publiquement des avis subjectifs ou arbitraires sur à peu près tout.

Klein n’en est pas à ses premiers questionnements sur la justesse et la véracité des faits présentés par certains scientifiques ou rapportés par les médias. Il avoue toutefois avoir été piqué au vif par les résultats d’un sondage publiés en avril 2020. Sondage dans lequel on avait demandé à monsieur et madame Tout-le-Monde de se prononcer sur l’efficacité d’un médicament contre la COVID-19 alors qu’aucune étude sérieuse n’avait encore conclu quoi que ce soit à cet égard. Et 80% des individus interrogés de poser un verdict catégorique alors que personne ne disposait de données permettant de répondre intelligemment à la question!

Et voilà qu’au fil des mois suivants, praticiens, spécialistes et experts de toutes sortes se lancent dans des déclarations publiques débordant largement de leur compétence et de ce qu’ils savent vraiment. Or, la vérité n’a que faire des opinions personnelles, et encore moins des affirmations contradictoires. La confiance des gens dans les autorités scientifiques et autres, déjà ébranlée depuis longtemps, s’en trouve encore plus minée. Il en résulte une confusion qui pousse tôt ou tard à se fabriquer sa petite vérité à soi, pour le meilleur et pour le pire.

Danger! s’écrie Klein. Si chacun y va de son propre «bon sens», adieu le sens commun. Dans une entrevue téléphonique accordée en septembre au journal Le Devoir, il disait craindre que les gens se regroupent en communautés partageant les mêmes convictions qu’eux pour éviter d’être confrontés à toutes contradictions venues de l’extérieur.

La force du nombre n’est pas gage de véracité

Personne n’aime être trompé. Reste qu’à force d’être bombardé de faussetés ou de messages divergents, on finit par avoir du mal à dégager le vrai du faux, et par douter de la vérité elle-même lorsqu’elle se fait jour. Constatant l’ampleur du phénomène, le physicien-philosophe s’interroge:

«Dès lors que vous niez l’existence de la vérité,
au service de quelle cause mettez-vous votre désir de véracité?»

Il rappelle dans la foulée qu’il ne suffit pas d’être nombreux pour avoir raison. La vérité ne se fonde pas sur des votes, et toute discipline scientifique visant à la dévoiler se doit de procéder avec rigueur et objectivité. Toutes les avenues d’exploration sont permises, y compris les justes questions et critiques, mais les efforts doivent converger vers une finalité commune. Sans quoi, c’est le chaos. Pour paraphraser Klein dans l’entrevue précitée:

Lorsque la vérité n’a plus d’importance dans le discours public,
c’est l’idée même d’un monde commun qui s’effrite
.

Sachant par ailleurs que la science ne détient pas le monopole de la vérité et que l’avalanche d’information qui s’abat sur nous finit par la relativiser, l’auteur d’une trentaine de livres confiait à Alexis Riopel du Devoir:

«La science ne répond pas aux questions qui nous intéressent le plus, celles qui sont liées à la vie, à la justice, à l’amour, etc. […] Et du coup, on jette le bébé avec l’eau du bain. On privilégie des sources d’information qui nous aident à vivre, plutôt que celles qui nous aident à comprendre.»

Entre croyances et connaissances

Dans une autre entrevue, celle-là accordée à L’Usine Nouvelle en 2017, Étienne Klein se disait déjà alarmé par la montée en puissance d’un certain populisme, par lequel d’aucuns utilisent des arguments de bon sens, éloquents mais faux, pour contester le discours des scientifiques. Il affirmait par ailleurs que la bataille entre connaissances et croyances ne faisait que commencer. Que nous étions en fait entrés dans l’ère de la post-vérité, ajoutant, pour appuyer son propos:

«Un homme politique peut maintenant dire des énormités, notamment scientifiques, ou bien des mensonges manifestes, sans que cela ne porte atteinte à son crédit symbolique.»

Pour mieux contrer les contre-vérités et renforcer nos connaissances face aux croyances, Klein disait miser sur l’acquisition d’une meilleure connaissance de nos connaissances! Autrement dit, sur la faculté de nous interroger sur ce qui fait que nous savons ce que nous savons, ou croyons savoir.

À titre d’exemple, notait-il, depuis les premiers clichés de clair de Terre vu de la Lune, il est évident que la Terre est ronde, même si certains adeptes du populisme dont il parlait plus tôt persistent à croire qu’elle est plate. Quoi qu’il en soit, le fait est que bien avant le siècle dernier – des milliers d’années avant nous –, des anciens avaient déjà pu déterminer avec certitude la forme de notre planète sans jamais quitter sa surface. Comment l’avaient-ils découvert? Quelles méthodes avaient-ils utilisées? Quels raisonnements et déductions avaient fait suite à leurs observations? Nous ne le savons généralement pas, et dans ce cas comme dans bien d’autres:

«Une mauvaise connaissance de nos connaissances nous empêche de dire ce par quoi elles se distinguent de simples croyances.»

Faisons partie de la solution

Ce constat est d’autant plus significatif que tous les discours scientifiques n’ont pas la même valeur. Nous devons donc apprendre à distinguer les conclusions douteuses d’études isolées des conclusions probantes issues de recherches méthodiques à grande échelle. Car, lorsque les contre-vérités finissent par effriter notre confiance, «chacun de nous a tendance à déclarer vrais les arguments ou les idées qui lui plaisent», de dire le physicien-philosophe.

Qui plus est, la science a tendance à faire planer une ombre sur la métaphysique, sur l’art et la spiritualité, bref sur tout ce qui n’est pas directement observable et mesurable, mais qui n’en fait pas moins vibrer l’humain.

Les Védas prônent depuis toujours l’importance de chercher la vérité en toutes choses auprès de ceux qui la détiennent, et de la valider auprès de différentes sources autorisées. Étienne Klein n’est ni le premier ni le dernier à clamer qu’il ne peut y avoir véracité que s’il y a vérité. Et en aucun cas nos opinions ou nos croyances ne remplacent la vérité.

Ayons donc l’honnêteté de vérifier ce que nous croyons savoir avant de partager nos croyances avec la planète entière. Ayons la décence de ne pas alimenter l’incertitude, l’instabilité, la méfiance et la défiance au profit d’intérêts contraires à l’unité, à l’harmonie, au bonheur et à la paix que nous recherchons tous au plus profond de nous. Faisons partie de la solution au problème de la post-vérité plutôt que d’attiser le feu de la démagogie que nous tentons si gauchement d’éteindre.

Vérités, contre-vérités et post-vérité