Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.

Voir le volet précédent.

Contre toute attente, les nombreuses fouilles effectuées dans la vallée de l’Indus n’ont pas livré de vestiges matériels permettant de retracer plus précisément l’origine des textes védiques. C’est que, contrairement à l’Égypte, par exemple, où, sauf dans le delta du Nil, les conditions climatiques favorisaient la préservation de matériaux hautement périssables, le climat tropical de l’Inde compromettait gravement la survie de tout écrit, que ce soit sur feuilles de palmier, sur toile de coton ou sur écorce d’arbre.

Certains chercheurs avaient l’espoir de découvrir d’imposants tombeaux où les chances de conservation auraient été meilleures, mais cet espoir était vain. Car, au contraire de l’Égypte pharaonique, l’Inde védique n’enterrait pas ses morts. Les Védas préconisent en effet la crémation, une tradition à laquelle la majorité des Indiens restent fidèles à ce jour. Ce qui veut dire que non seulement les écrits, mais aussi les ossements sont d’une rareté extrême sur les sites de la plus haute antiquité védique. On n’a d’ailleurs trouvé aucun cimetière digne de ce nom dans la vallée de l’Indus.

Ainsi, bien que l’existence d’une civilisation indigène plusieurs fois millénaire sur le sous-continent indien soit désormais établie, on peut s’interroger, non seulement sur l’origine des Védas, mais aussi sur la nature exacte du lien entre la culture de la vallée de l’Indus et la civilisation védique comme telle, pour peu qu’un tel lien existe.

Ceux qui s’accrochent encore à la théorie de l’invasion aryenne affirment bien entendu que la culture de la vallée de l’Indus ne peut être védique, puisqu’elle existait avant que les Aryens n’anéantissent ou n’asservissent les populations locales et composent les textes védiques afin d’imposer leur propre culture dans la région. Le fait est, cependant, que les fouilles archéologiques ont clairement révélé que le déclin et l’extinction de la culture de la vallée de l’Indus ont eu lieu entre 3000 et 1800 av. J.‑C., soit plusieurs siècles avant l’arrivée des prétendus Aryens. Mais cette culture était-elle pour autant védique?

Rien n’est vraiment figé dans le temps

Il fut un temps où l’histoire de l’écriture était toute tracée. Les vestiges du passé mis au jour par les archéologues indiquaient que les premières traces d’écriture appartenaient aux Sumériens, dont on avait retrouvé des tablettes d’argile datant de 3200 av. J.‑C. et traitant d’affaires commerciales et administratives.

Les Égyptiens leur auraient emboîté le pas un ou deux siècles plus tard avec leur écriture hiéroglyphique. Suivis des Harappéens en 2500 av. J.‑C. sur le sous-continent indien, cette fois avec des seaux en stéatite à usage commercial. Puis, les Chinois étaient entrés dans la danse entre 1500 et 1200 av. J.‑C. en inscrivant des oracles sur des os ou des écailles de tortue. Les Olmèques, les Mayas et les Zapotèques fermaient la marche avec des écrits datant de 250 à 300 av. J.‑C.

Sceaux en stéatite de la vallée de l’Indus

MAIS…

Tout n’allait pas rester longtemps coulé dans l’argile. Entre autres menaces à l’ordre établi, Günter Dreyer, directeur de l’Institut d’archéologie allemand en Égypte, découvre, dans les années 1990, un tombeau renfermant des hiéroglyphes datant de 3200 à peut-être même 3400 av. J.‑C.! Cette découverte remettait naturellement en question la position des Sumériens au sommet du palmarès. Vivian Davis du British Museum a même ouvertement déclaré que les Égyptiens avaient bel et bien battu les Sumériens au chapitre de l’écriture. Mais c’était sans compter la réaction de l’adversaire. Christopher Walker, spécialiste des Sumériens, s’est aussitôt empressé de rétorquer:

«Si les égyptologues croient effectivement avoir trouvé des traces d’une écriture entièrement développée à cette époque, nous allons en chercher de plus vieilles encore à Sumer.»

Times (Londres), 14 septembre 1998.

Et rien ne dit que les choses s’arrêteront là. Après tout, nous ne savons de l’histoire de l’humanité que ce que les découvertes à ce jour nous en disent. Mais en histoire comme en sciences et dans une foule d’autres disciplines, de constantes percées viennent modifier notre perception de ce que nous croyions savoir.

Un parcours semé d’embûches

En ce qui concerne l’origine des textes védiques, les chercheurs demeurent perplexes. Tous les efforts de datation ont soulevé des controverses, et pour cause. Lorsque les experts étudient la composition des différents textes, ils constatent des variations dans la forme même du sanskrit, et en déduisent qu’ils ont dû être compilés sur une très longue période. Certains y voient en outre une méthode utile pour établir la séquence d’écriture des textes. Michael Witzel de l’Université Harvard estime, par exemple, qu’entre l’écriture du Rig-véda et celle des Upanishads, le sanskrit a connu cinq évolutions successives.

D’autres spécialistes nous rappellent toutefois que le langage des Védas et le savoir qu’ils renferment sont deux choses différentes. À travers les variations de la langue, il devient évident que la teneur même des textes est antérieure aux différentes formes de sanskrit dans lesquelles elle a été transmise au fil du temps. Ce qui s’explique par le fait que ces Védas dont on cherche à dater l’écriture sont issus d’une tradition non pas écrite, mais orale. Autrement dit, le langage écrit qui véhicule cet antique savoir oral n’est indicatif que de la forme de sanskrit en usage au moment de l’écriture de chaque texte retrouvé.

Or, les philologues s’appuient justement sur les plus vieilles copies retrouvées de chaque texte védique pour tenter d’en déterminer la chronologie. Cette approche est toutefois trompeuse, puisqu’il peut très bien avoir existé des copies antérieures à celles qu’on a retrouvées. D’autant plus, comme nous l’avons vu, que les conditions climatiques du sous-continent indien ne sont guère favorables à la conservation d’écrits sur des matériaux hautement périssables. Il est donc tout à fait possible que des manuscrits plus anciens aient depuis longtemps subi l’usure du temps. Le contenu des textes devient dès lors plus important que leur forme pour établir leur origine.

À suivre…

La question de l’origine des Védas