Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.

Voir le volet précédent.

À ce stade, la décence la plus élémentaire dicte de donner aux Védas l’occasion de faire connaître leur propre position. On peut comprendre qu’une entreprise coloniale désireuse d’asservir un peuple et de dénigrer sa culture et son histoire ne soit pas disposée à admettre ce qui va à l’encontre de ses prétentions. Et encore moins que la culture et la civilisation du pays conquis sont plus anciennes que les siennes propres. Mais avec le recul, ce n’est pas une raison pour ne pas retourner aux sources et entendre ce que les Védas ont à dire sur leur propre histoire.

Aux fins de la présente série, je n’en donnerai qu’un résumé très sommaire, mais non moins utile pour contextualiser les faits à la lumière des données historiques, philologiques, archéologiques et anthropologiques issues des recherches menées depuis bientôt deux siècles.

Chronologie des Védas

Le Bhagavat Purana retrace comme suit la genèse des écrits védiques.

Il n’y avait à l’origine qu’un seul et unique Véda, dont le savoir était précieusement transmis de maître à disciple par voie orale, et ce, depuis les temps les plus reculés.

Conscient des cycles cosmiques, le grand sage Vyasadéva sentit l’approche de l’âge de fer védique, le kali-youga, au cours duquel s’amoindriraient la longévité, l’acuité d’esprit, la patience et la mémoire des hommes. Il entreprit donc de transposer le Véda par écrit afin d’en assurer la préservation.

Pour en faciliter la lecture et la compréhension, il commença par diviser le Véda originel en quatre parties distinctes, connues depuis comme les quatre Védas: le Rig-véda, le Yajur-véda, le Sama-véda et l’Atharva-véda, conçus pour permettre le plein épanouissement des quatre ordres naturels de la société, respectivement constitués des brahmanas, des kshatriyas, des vaishyas et des shoudras.

Les traités philosophiques que sont les Upanishads ont été intégrés aux quatre Védas. Et dans l’intérêt des personnes qui seraient moins portées sur la philosophie, Vyasadéva composa les Puranas et le Mahabharata – qui renferme la Bhagavad-gita – à partir de faits historiques mettant en lumière les enseignements des quatre Védas. Ces compléments constituent ce qu’il a été convenu d’appeler le cinquième Véda.

La préservation et le développement des différentes branches des Védas ont ensuite été confiés à de sages érudits disciples de Vyasadéva. Paila Rishi eut la charge du Rig-véda, Jaimini celle du Sama-véda, Vaishampayana celle du Yajur-véda, Angira Mouni celle de l’Atharva-véda, et Romaharshana celle des Puranas et des Itihasas (récits historiques). Tous assurèrent ensuite la transmission de leur savoir à leurs propres disciples, suivant le principe de pérennité des filiations spirituelles, toujours vivantes de nos jours.

Dernière mise au point

Le Bhagavat Purana relate en outre plus en détail sa propre genèse. On peut y lire qu’après avoir assuré l’écriture des Védas, Vyasadéva n’avait pas l’esprit en paix. Il avait pourtant fidèlement et consciencieusement transmis le savoir millénaire pour le bien de l’humanité. Qu’est-ce donc qui le privait du sentiment de plénitude que procure le devoir accompli dans les règles de l’art?

Comprenant le malaise de son disciple, Narada Mouni dit à Vyasadéva:

«Tu as parfaitement couvert la matière des Védas, et même colligé l’extraordinaire Mahabharata, riche à souhait d’explications sur tous les aspects des Védas. Tu as pleinement approfondi la connaissance de l’âme et du Paramatma, de même que la question du Brahman impersonnel dans ton Védanta-sutra, le plus grand traité philosophique qui soit. Mais tu n’as pas vraiment exposé les gloires sublimes de l’aspect personnel de la Vérité Absolue. Or, toute la philosophie du monde laisse l’homme insatisfait si elle ne lui permet pas de renouer avec sa source.»

Vyasadéva comprit alors qu’il devait rédiger un commentaire naturel à son Védanta-sutra pour boucler la compréhension globale de l’Absolu et marquer la transition entre la connaissance aride du Suprême et le rétablissement de la relation d’amour qui unit naturellement et éternellement les êtres au Divin.

C’est ainsi qu’il rédigea enfin le Bhagavat Purana – considéré comme la crème des Védas – en douze Chants conduisant progressivement à la pleine réalisation de l’Infiniment Fascinant et de ses gloires. Alors seulement fut-il satisfait de son grand œuvre.

À suivre…

À tout seigneur tout honneur