Illustration de Denis Dubois

En cette ère de désinformation et de fausses nouvelles, je vous propose aujourd’hui un petit exercice de raisonnement et de logique élémentaire.

En spiritualité, noyer le poisson, c’est s’afficher comme un gourou tout en se défendant d’en être un; c’est diffuser un enseignement ciblé en prétendant accompagner les gens dans la quête de leur propre vérité; c’est créer des liens de cause à effet là où il n’y en a pas; c’est user d’arguments qui semblent logiques mais qui découlent d’un faux raisonnement – ce qu’on appelle communément un « sophisme » (kutarka en sanskrit).

Le but : déformer les faits à son avantage, tromper autrui en s’appuyant sur des éléments de vérité pour propager des faussetés, créer une confusion propice à l’exploitation des émotions d’autrui, remplacer un système de croyances par un autre système de croyances…

À titre d’exemple, je vous propose un texte de Jeff Foster, dont le parcours et le discours ont naturellement retenu mon attention, car il s’inspire ouvertement des écoles de pensée védiques – notamment du védanta et des philosophies connexes, dont l’advaita (la non-dualité) et la bhedabheda (l’unité dans la diversité).

Le problème, c’est que monsieur Foster en détourne habilement le sens en les accommodant à sa propre sauce au goût du jour. Se tromper soi-même est une chose, mais tromper les autres en les berçant de non-sens au nom de la vérité en est une toute autre.

Une personne avertie en vaut deux. Voyons voir si vous arrivez à débusquer les aberrations dans le texte qui suit.

Le leurre

Le texte en question, sous forme de poème, s’intitule The Rapture (L’enchantement), et se traduit comme suit :

Il n’y a pas de Dieu
simplement parce que Dieu
n’a ni intérieur ni extérieur
non plus qu’aucunes limites.

Il n’a pas non plus de nom
autre que tous les noms.

Ne serait-ce que prononcer le mot « Dieu »
réduit Dieu à une chose,
à un concept,
circonscrit, distinct, séparé de vous.

Il n’y a pas de Dieu
simplement parce que
tout est Dieu.

Dieu n’est qu’un autre nom
pour Tout ce qui est
et Tout ce qui n’est pas.

Et que vous y croyiez ou non
n’a rien à y voir.

Hallelujah.


Tel est pris qui croyait prendre

1er hic : Dire que Dieu possède certains attributs, par exemple qu’il n’a ni intérieur, ni extérieur, ni limites, c’est dire que Dieu existe, ce qui, en toute logique, contredit l’affirmation initiale qu’il n’existe pas plutôt que d’en être la preuve – une chose qui n’existe pas ne peut pas avoir d’attributs!

2e hic : Si Dieu a tous les noms, il ne peut logiquement pas ne pas avoir de nom.

Il s’agit là de caractérisations de l’Absolu provenant des Upanishads, qui précisent en outre que l’Absolu est à la fois immobile et plus rapide que la pensée, qu’il se déplace sans se déplacer, qu’il est à la fois infiniment loin et infiniment près, et présent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de chaque être et de chaque chose. Ces attributs contribuent à le définir, et non à en nier l’existence. (Pour plus de détails, voir À la découverte de l’Absolu.)

3e hic : Est-ce que le fait de prononcer le mot « humain », « cheval » ou « moustique » en fait des choses, des objets ou des notions dépourvues de réalité en dehors de nous? Dire que prononcer le mot « Dieu » réduit Dieu à une chose implique tacitement que Dieu est autre chose qu’une simple chose, ce qui contredit la prémisse de départ voulant qu’il n’ait pas d’existence.

4e hic : Comment peut-on déclarer qu’il n’y a pas de Dieu, donc que Dieu n’est rien, pour ensuite proclamer que tout est Dieu?

À titre d’information, la Bhagavad-gita explique – nuance importante – que Dieu est en tout et que tout est en Dieu, mais que tout n’est pas Dieu. L’humain, le chien et l’arbre participent tous de la nature de l’Absolu, mais aucun d’eux n’est l’Absolu en soi.

5e hic : Dire que Dieu n’est qu’un autre nom pour Tout ce qui est et Tout ce qui n’est pas, ce n’est pas établir sa non-existence. C’est au contraire affirmer qu’il est le Grand Tout, l’Absolu, l’alpha et l’oméga… présent en tout et hors de tout.

Que nous croyions ou non en Dieu n’a en effet aucune importance ici. Ce que monsieur Foster semble attendre de nous, c’est que nous le croyions sur parole lorsqu’il nous dit qu’il n’y a pas de Dieu, en dépit de l’illogisme flagrant des arguments qu’il emploie pour noyer le poisson – ou serait-ce plutôt pour nous appâter comme des poissons?

Et si on remettait le poisson à l’eau?

Je ne vous demanderai pas votre score, mais j’espère sincèrement que cet exercice vous incitera à aiguiser votre jugement et à détecter les leurres lorsqu’il y a anguille sous roche. Trop de beaux parleurs nous font perdre notre temps en jouant sur nos émotions plutôt que de faire appel à notre intelligence pour nous aider à discerner le vrai du faux.

Pour l’heure, vous aurez sans doute compris que monsieur Foster jongle avec les mots dans l’espoir de nous voir mordre à l’hameçon de sa conception impersonnelle de l’Absolu. Mais en quoi sa conception mérite-t-elle plus d’attention que la conception localisée de l’Absolu ou la conception personnelle de l’Absolu (voir La triade divine)?

La question est d’autant plus pertinente que la dimension profondément personnelle de l’humain – sur laquelle il insiste tellement dans ses enseignements – ne peut qu’être le reflet de cette même dimension dans l’Absolu, puisque par définition, l’Absolu englobe tout; il ne saurait donc être dépourvu des attributs d’aucune de ses manifestations relatives! En cherchant à confiner l’Absolu à une seule de ses dimensions, on s’égare soi-même; et en le criant sur les toits, on risque malheureusement d’entraîner les autres dans son sillage.

Plutôt que de noyer davantage un poisson déjà mal en point, mieux vaut simplement le remettre à l’eau. L’océan de la sagesse a tellement mieux à offrir!

Comment noyer le poisson