Ces trois termes sont peut-être apparentés, mais ils ne sont pas interchangeables. En contexte de développement personnel et de réalisation de soi, on constate cependant qu’ils sont couramment employés à toutes les sauces, au gré des interprétations que les auteurs, conférenciers et coachs de vie veulent bien leur donner. Il peut donc être utile de les remettre en perspective pour dissiper d’inutiles et pernicieuses méprises ou confusions.

L’ascension de la science et le déclin des pouvoirs de l’Église a suscité un courant de défaveur à l’égard des religions traditionnelles. Ainsi a-t-on vu surgir une multitude de nouvelles formes de spiritualité et de philosophies qui se défendent bien d’être des religions. Autrement dit, d’être dogmatiques – soit l’aspect des religions qui semble le plus hérisser le poil de l’homme et de la femme modernes.

L’individualisme rampant de nos sociétés nous a rendus hypersensibles, pour ne pas dire allergiques aux règles et aux impositions de toutes sortes. Nous nous considérons comme des libres penseurs et des libres acteurs. Nous regimbons contre les obligations qui ne sont pas de notre cru, souvent au point de rejeter non seulement l’autorité des curés, des imams et des rabbins, mais aussi celle de l’État et de toute institution ou entreprise qui brime un tant soit peu nos droits et libertés.

Dans un même temps, n’est-il pas curieux qu’autant de gens obéissent aveuglément aux appels à la consommation des dictateurs de l’économie mondiale? Et qu’autant d’autres se substituent volontiers aux meneurs de troupeaux d’autrefois pour nous dicter ce que nous devons faire ou ne pas faire dans à peu près tous les domaines de notre vie?

Comme quoi nos pensées et nos actes, tout comme nos perceptions et nos jugements, peuvent parfois se révéler relatifs et contradictoires. Et il en va de même de l’entendement de certaines notions qui gagnent à être mieux comprises par quiconque s’intéresse un tant soit peu au sens de la vie et à l’essence de son être.

Religion – Singulière et plurielle

Il importe notamment de distinguer LES religions de LA religion. Les religions, grandes et petites, reposent toutes sur un système de croyances et de pratiques axées sur l’obtention du salut sous une forme ou une autre. Bien qu’elles présentent de nombreux points communs, elles sont mutuellement exclusives – elles ont d’ailleurs été à l’origine de nombreux conflits au cours des siècles. Essentiellement du fait que les fidèles considèrent leur Dieu comme le seul vrai Dieu, et que tous ceux qui ne partagent pas leur croyance ne peuvent qu’être des infidèles.

La religion, quant à elle, n’a rien en soi de cet aspect sectaire. Elle désigne plutôt le sentiment intime qui anime tous les croyants. Elle sous-tend le sens du sacré. Une approche à la vie où l’on a conscience de faire partie de quelque chose de plus grand que soi – ce que beaucoup aiment aujourd’hui appeler la Vie, la Lumière ou l’Univers pour ne pas nommer ce plus grand que soi. Une approche qu’on pourrait qualifier de vertueuse, soucieuse d’harmonie entre les êtres, et assortie d’une certaine notion de Divin.

Dans les faits, bien que certains soient prompts à décrier LES religions, ils sont bien souvent eux-mêmes religieux au sens propre de LA religion. Ils ne s’opposent pas au principe fondamental de la religion, mais aux institutions qui, à tort ou à raison, en détournent le sens. Par ailleurs, tous les adeptes d’une religion ne sont pas sectaires, et beaucoup y vivent pleinement leur spiritualité. Il faut donc faire preuve de jugement lorsqu’on parle de religion pour ne pas tout mettre dans le même panier.

Phil et Sophie

Certains préfèrent qualifier leur démarche personnelle de «philosophie de vie», même si dans les faits, elle n’a pas grand-chose de philosophique. Dans bien des cas, le mot «philosophie» pourrait en effet être facilement remplacé par «croyance». Quoi qu’il en soit, une approche strictement philosophique à la vie, ça existe. Elle est le fruit de l’heureux mariage entre Phil, brûlant d’amour (philein en grec ancien) pour Sophie (sophia), la sagesse et le savoir incarnés.

Les philosophes proposent une approche purement intellectuelle et spéculative de la réalité. Pour se démarquer, un philosophe doit élaborer une vision des choses différente de celle des autres philosophes. Sa version des faits peut être complémentaire à celle d’un autre, comme elle peut contredire la version de tous les autres. À moins qu’elle pousse à l’avant-scène une toute nouvelle théorie…

Aucun philosophe n’est toutefois en mesure d’offrir une vision globale juste et définitive de la vérité avec un grand «V». Certains philosophes sont croyants et pratiquants alors que d’autres sont athées ou agnostiques, mais en fin de compte, la philosophie n’a pas directement pour objet le dépassement de soi au-delà de la sphère matérielle. Il s’agit plutôt d’un mode de pensée, d’une façon parmi d’autres de percevoir le monde.

Certains ont bien tenté d’amalgamer philosophie, psychologie et neurosciences en guise de contrepoids tout ce qu’il y a de plus sérieux aux religions conventionnelles – tenues pour plus ou moins naïves. La science n’a toutefois que faire de la philosophie, et encore moins de la religion. Elle ne s’intéresse qu’à l’aspect purement physique, observable et mesurable de la réalité. Le surnaturel sous quelque forme que ce soit n’y a aucune place.

Spiritualité pour tous

Pour éviter d’associer leur vie intérieure au mot en «R», beaucoup parlent désormais de spiritualité. Mais à l’usage, ce terme revêt un sens si large qu’il peut aussi bien être employé pour désigner la pratique d’une discipline physique ou mentale, que l’adhésion à une organisation d’inspiration manifestement religieuse.

D’un point de vue plus objectif, la spiritualité se définit tout simplement comme la quête active du sens de la vie. Soit la quête de l’être dans ce qu’il a de plus intime, de son origine, de sa raison d’être, de sa place dans l’univers et de son lien avec la source et la fin ultime de tout ce qui est.

Fait intéressant, les Védas – qui ne préconisent aucune religion en particulier – abordent la spiritualité sous l’angle du dharma, qui réunit les valeurs et les principes applicables en tout temps et en tout lieu par tout être humain soucieux de s’accomplir sur le plan aussi bien divin que terrestre.

La Bhagavad-gita explique en outre qu’on peut aussi bien chercher à accéder à la dimension spirituelle par la voie impersonnelle de la philosophie analytique que par la voie personnelle de la religion. Et que la première finit tôt ou tard par mener à la seconde, mais qu’elle est beaucoup plus ardue.

En bref, la spiritualité n’est ni religion ni philosophie. Cela dit, une saine spiritualité est tout à la fois les deux. Car la religion sans philosophie n’est malheureusement le plus souvent que sentimentalité, voire fanatisme. Et la philosophie sans religion, sans application pratique de principes et de valeurs ouvrant les voies de la transcendance, reste pure spéculation aride et stérile.

Quelles que soient nos préférences personnelles, retenons ici que la spiritualité peut très bien se vivre dans le cadre d’une religion, mais qu’elle peut aussi s’exercer sans aucun lien avec une religion institutionalisée. Elle peut de même s’inscrire dans le cadre d’une démarche philosophique, ou même purement scientifique, mais elle ne dépend ni de l’une ni de l’autre. La spiritualité est d’abord et avant tout un état d’être et d’agir qui favorise la pleine conscience et la pleine réalisation de soi dans toutes ses dimensions. Tous les humains que nous sommes ont donc intérêt à la cultiver pour ce qu’elle est vraiment, sans s’encombrer de désignations trompeuses.

Religion, philosophie ou spiritualité?