Photo de Argie Padilla Yañez

Une silhouette drapée de noir sur la couverture d’une édition du Time des années 1970 dévisageait le lecteur d’un air menaçant. «L’occultisme renaît – Satan revient», titrait le magazine. L’article à la clé proclamait que le satanisme et la sorcellerie étaient en train d’évincer la foi religieuse. Et qu’ils recrutaient leurs fidèles non seulement chez les excentriques et les marginaux, mais aussi, voire surtout dans la haute bourgeoisie européenne et américaine! Mode passagère? Pas du tout. Cinquante ans plus tard, les statistiques continuent de témoigner d’une vague de fascination soutenue pour le satanisme, la sorcellerie et les sciences occultes en général.

Les divers cultes sataniques ont à leur base un même dessein: déifier l’humain. Les occultistes comme les observateurs avertis s’entendent pour dire que c’est la promesse d’un pouvoir accru qui attire les gens au satanisme et à la sorcellerie. Un pouvoir qui se veut gage de liberté et dont le spectre envoûte les négateurs de l’autorité divine invoquée par les religions traditionnelles. Dans une plus large perspective, ce phénomène est d’ailleurs en phase avec le vent de rejet de toute forme d’autorité qui balaie notre époque. Plus que jamais, l’homme aspire à être libre, libre de toute contrainte, de toute obligation et de toute forme de domination. Et l’occultisme s’offre à étancher cette soif par les voies d’une obscure magie.

Sur les pas de l’ange noir, l’homme se détourne des forces célestes au profit des forces terrestres. Et à l’instar du prince des ténèbres, il cherche à devenir l’égal de Dieu en exerçant son emprise sur tout ce qui l’entoure. Tel est l’esprit au fondement même du satanisme.

En hébreu, satan signifie «ennemi» ou «adversaire», et selon la théologie chrétienne, Satan, ou Lucifer – le chef des anges déchus –, incarne le plus grand ennemi de l’homme, l’antithèse même de la vertu et de la spiritualité. Dans l’Ancien Testament, il apparaît à Adam et Ève sous la forme d’un serpent pour les inciter à rompre le pacte conclu avec Dieu. Et c’est lui encore qui, dans le Nouveau Testament, tente Jésus dans le désert en lui montrant tous les royaumes du monde et en lui disant: «Tout cela, je te le donnerai si tu tombes à mes pieds et m’adores.» Le Christ repousse les avances de Satan en faisant valoir que seul Dieu, le Seigneur des seigneurs, est digne d’adoration. Mais la tentation n’en demeure pas moins une arme très puissante qui confère à Satan un immense pouvoir sur les êtres. Jésus lui concède d’ailleurs la souveraineté du monde matériel, tout en rappelant que son royaume à lui n’est pas de ce monde.

Entre les deux, mon cœur balance

L’imagerie judéo-chrétienne, qui représente la personnification du mal sous la forme d’un diable cornu, n’a pas d’écho dans la littérature védique. Les Upanishads et les Puranas n’en distinguent pas moins graphiquement deux grandes classes d’êtres: d’une part, ceux qui sont éclairés, vertueux, ou de nature «divine» – les souras –, et d’autre part, les impies ou mécréants qui fuient la lumière et qu’on dit être de nature «démoniaque» – les asouras. La Bhagavad-gita consacre même un chapitre entier à caractériser plus précisément les uns et les autres.

Il est entendu que personne n’est entièrement dans le bien ni entièrement dans le mal, et qu’il existe une infinité de gradations entre le divin et le malin. L’être humain oscille d’ailleurs continuellement entre ces deux pôles. Fortement conditionné par une conception matérielle de la vie, il ne cesse de chercher à assouvir ses désirs, des plus nobles aux plus vils.

Les hommes et les femmes qui adhèrent au satanisme et qui font appel aux forces occultes pour réaliser leurs ambitions acquièrent de plus en plus les traits de la nature démoniaque. Contrairement à ceux et celles qui s’efforcent de vivre dans la vertu, ils cèdent à leurs pulsions passionnelles et à toutes sortes de poursuites ténébreuses. Pour reprendre la terminologie judéo-chrétienne, leurs évangiles sont tout à l’inverse des enseignements du Christ: «Heureux les puissants, car le royaume de la terre leur appartient.» et «Si quelqu’un te gifle, rends-le lui au centuple.»

Comme le rapportait l’article du Time, parmi les cultes sataniques en vogue, il en est un qui l’emporte sur tous les autres, et de nos jours plus que jamais. Ses adeptes vénèrent Satan, non pas en tant qu’être surnaturel, mais en tant que symbole de la soif de plaisir des humains et de leur attachement à un mode de vie faisant totalement abstraction de Dieu, donc purement matérialiste. Ces suppôts du malin méprisent ouvertement ceux qui croient au divin ou au diable, ou à une quelconque forme de surnaturel, car dans les faits, c’est à leur propre corps et à tout ce qui peut assouvir leurs désirs que ces satanistes rendent un culte.

Une feuille de route peu enviable

En étudiant les cultes obscurs liés au roi des enfers, les chercheurs ont tôt fait de découvrir que tout en dénonçant à grands cris l’hypocrisie de la société moderne, leurs fidèles mordent à pleines dents dans ses meilleurs fruits, sans que jamais la pensée d’un au-delà effleure leur esprit. Les membres de certaines sectes gravissent même les échelons de leur hiérarchie en fonction de leur aisance matérielle et des biens qu’ils parviennent à acquérir: maisons, voitures, bijoux, œuvres d’art, etc.

Ces branches du satanisme sont en fait plus démoniaques encore que celles qui tiennent le diable pour un personnage avec lequel il faut compter, car elles sont foncièrement anti-spirituelles. Elles idolâtrent le matérialisme du plus bas étage et n’en ont que pour les plaisirs terrestres. Leur credo: «Rien n’a d’importance que le plaisir. Vouez-lui un culte, abandonnez-vous tout entier à lui, et vous jouirez de la vie au même titre que Dieu!»

Il y a 5 000 ans déjà, Krishna décrivaient de tels asouras en ces termes:

«Les êtres démoniaques ignorent ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire. Il n’y a en eux ni pureté, ni véracité, ni juste conduite. Ils prétendent que ce monde est irréel, qu’il est sans fondement, qu’aucun Dieu ne le gouverne, qu’il est le fruit de l’appétit charnel et qu’il n’a d’autre cause que la concupiscence.

«Partant de telles conclusions, ces êtres égarés et dénués d’intelligence se livrent à des œuvres nuisibles et infâmes appelées à détruire le monde. Imbus d’orgueil et de vanité, en proie à l’illusion, ils sont fascinés par l’éphémère et se vouent invariablement à des actes malsains.

«Jouir des sens jusqu’au dernier moment, tel est, croient-ils, l’impératif primordial pour l’homme. Aussi leur angoisse ne connaît-elle pas de fin. Captifs de milliers de désirs, rongés par la concupiscence et la colère, ils recourent à des voies illicites pour s’enrichir afin de satisfaire leurs sens.

«Ainsi pense l’être démoniaque: ‘De tout, je suis le seigneur et maître, et le juste bénéficiaire. Nul n’est plus parfait, puissant, riche et heureux que moi.’ Ainsi l’ignorance le fourvoie-t-elle. Confondu par de multiples angoisses et pris dans un filet d’illusions, il s’attache par trop aux plaisirs de ce monde et se dirige droit en enfer.»

Bhagavad-gita 16.7-16


Des démons de tous ordres

Le satanisme et ses dérivés se veulent l’expression la plus extrême de l’aspiration de l’homme à se rendre seigneur et maître de tout ce qui l’entoure. À prendre la place de Dieu, finalement, en niant son existence ou en le reléguant aux oubliettes.

Fait intéressant, dans le sillage de ces extrémistes du matérialisme tous azimuts, les textes védiques rangent toutes les autres factions qui, dans une mesure ou une autre, rejettent ouvertement l’existence d’une intelligence suprême. Notamment les impersonnalistes, pour qui l’Absolu n’est que lumière; les humanistes, pour qui il n’est d’autre Dieu que l’homme lui-même; les athées, qui ne croient en aucun Absolu; et les nihilistes, pour qui tout n’est qu’illusion et néant. Soit autant d’approches «démoniaques» à la vie, en ce qu’elles oblitèrent délibérément une dimension fondamentale de la réalité et entravent cruellement la pleine réalisation de l’essence même de notre être.

Les adeptes du satanisme, de la sorcellerie et de la magie noire restent néanmoins les plus égarés et les plus pernicieux de tous, car ils n’adhèrent à aucune doctrine, philosophie ou discipline autre que la jouissance la plus grossière de leurs sens.

Arrière, Satan!

Quel intérêt y a-t-il à traiter de ces féroces détracteurs de la spiritualité sous toutes ses formes? S’il en est un, selon les Védas, c’est que ces «assassins de l’âme et de Dieu», comme les appelle l’Isha Upanishad, nous renvoient l’image de notre pire ennemi. Du satan, de l’asoura qui sommeille en chacun de nous et qui tend constamment à nous détourner des voies de l’élévation de soi au-delà du plan strictement matériel, tant physique qu’émotionnel et intellectuel.

Si l’image menaçante, parfois même redoutable, que projettent satanistes et autres mages du côté obscur de la force peut raffermir notre conscience des dangers et méfaits du matérialisme aveugle, elle aura contribué à accroître notre soif de réelle liberté à travers une saine spiritualité plutôt que dans la poursuite effrénée des plaisirs de ce monde.

Faute de trouver dans les religions traditionnelles la satisfaction de leur besoin naturel de spiritualité, nombreux sont ceux et celles qui les ont abandonnées au profit de religions fabriquées de toutes pièces, de sectes nouvel-âgistes ou des pôles d’ombre de l’occultisme, du satanisme et de la sorcellerie. Aucune de ces voies détournées ne donne cependant de raviver son identité première et son rapport éternel à l’Absolu.

Peut-être les chercheurs et les journalistes d’enquête constatent-ils un retour en force du prince des ténèbres, mais le fait est que Satan a toujours été là, tapi dans le cœur de toutes les âmes conditionnées qui peuplent le royaume de la matière. Ce qui est sans doute plus manifeste que jamais, c’est l’effort d’autodéification de l’homme dans sa quête de pouvoir sur les forces de la nature, alors que celles-ci sont conçues pour l’inspirer à s’incliner devant la suprématie absolue du seul et unique maître de ces forces, de même qu’à assurer la saine intendance des ressources qu’il met gracieusement à notre disposition pour parfaire notre existence.

Fort heureusement, la tendance diabolique à vouloir tout contrôler en faisant fi du Divin omniprésent, omniscient et omnipotent peut être contrée. D’abord en cultivant la connaissance du soi et des différentes facettes de l’Absolu, puis en s’employant activement à servir notre plus grand intérêt en servant l’Infiniment Fascinant par la pratique du yoga. Telle est d’ailleurs la sage recommandation des Védas.

Quand le diable s’en mêle