La spiritualité, au cœur même de la pensée védique, échappe largement à la science moderne. Comme la conscience et l’expérience personnelle y jouent un rôle central, la spiritualité ne répond pas aux critères d’objectivité pure de la science conventionnelle. Mais cette objectivité à tout prix gagne à être mise en perspective, et se voit elle-même remise en question par les scientifiques conscients de ses limites.

Depuis le milieu du 19e siècle, l’approche universitaire à l’étude des textes védiques a largement divergé de celle que préconisent ces mêmes textes. La raison en est fort simple: les érudits occidentaux s’en tiennent à la recherche critique et ne reconnaissent que les connaissances acquises par les voies de l’empirisme rationnel. Ils sont donc naturellement enclins à rejeter toute référence des textes à leur propre origine, à leur objet et à leur portée.

L’éminent philosophe Henryk Skolimowski résume en quelques points les axiomes à la base du paradigme scientifique qui prévaut en Occident:

— La seule méthode valable pour élargir notre connaissance de l’univers consiste à étudier des aspects mesurables du monde physique au moyen d’outils à l’appui de nos sens et de nos facultés intellectuelles.

Nos procédés empiriques et nos techniques d’analyse rationnelles nous permettront en temps et lieu de résoudre tous les mystères de l’univers.

L’empirisme rationnel revêt un caractère universel; toutes les cultures doivent le reconnaître comme tel et s’y conformer.

L’information contenue dans les Védas vise globalement l’élévation de la conscience et la transformation de soi. Il va donc de soi qu’un chercheur désireux d’en cerner et d’en approfondir la matière doit être disposé à élargir ses schèmes de référence, et sensible à une expérience transformatrice. Une telle ouverture d’esprit est d’autant plus nécessaire que les Védas renferment une foule de données sur l’univers que la science actuelle n’est en position ni de confirmer ni d’infirmer.

Par ailleurs, contrairement à ce que des sources mal informées ont pu prétendre, l’approche védique aux textes védiques ne repose nullement sur une foi aveugle et n’écarte en rien l’intelligence et le discernement. Elle préconise plutôt une façon différente d’utiliser notre intelligence. Ce qui constitue un défi de taille pour les scientifiques formés à l’école de la pensée cartésienne.

Au nom de l’objectivité

Dans The Participatory Mind, Skolimowski développe l’idée que le système d’éducation occidental est essentiellement conditionné par ce qu’il appelle «le yoga de l’objectivité». Pour la plupart des Occidentaux, le yoga constitue une forme de conditionnement physique à travers une série d’exercices complexes. Skolimowski reprend donc cette image pour expliquer que l’approche moderne à l’éducation repose sur une série d’exercices mentaux conçus pour conditionner l’intelligence, et ce, de la petite école au doctorat.

Le but de ce conditionnement: la rationalité et l’objectivité. Et comme pour toute autre forme de yoga, des années de pratique rigoureuse et assidue sont requises pour atteindre le but recherché. Pour apprendre à voir la réalité de façon sélective, analytique, rationnelle et «objective». Un tel conditionnement est jugé essentiel pour appréhender la réalité sous l’angle de la science moderne.

Le hic, c’est que l’objectivité ainsi recherchée est plus ou moins subtilement teintée d’influences culturelles, et fortement conditionnée par les courants de pensée dominants en ce qui concerne la nature de la réalité. Notre passion pour ce que nous aimons appeler l’objectivité scientifique amène donc en fait notre esprit à voir le monde d’une façon bien précise, à l’exclusion de toute autre. Autrement dit, la méthode scientifique forme l’esprit à la servir et le rend captif d’une vision sélective de la réalité. La vision scientifique du monde et l’esprit «objectif» qui entretient cette vision se font ainsi écho. Bref, l’objectivité tenue pour centrale à la recherche scientifique n’est jamais tout à fait objective. Et même si elle l’était, elle limiterait d’entrée de jeu les composantes de la réalité susceptibles d’être étudiées par la science moderne.

Place à la participation

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la conscience de l’observateur n’est jamais prise en compte dans la méthode scientifique? Pourquoi nous devons mettre autant de distance que possible entre nous et ce que nous cherchons à étudier au nom de l’objectivité pure? Comme si nous et tout ce qui nous entoure existait en vase clos, comme si tout était isolé de tout. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

Nombre de penseurs ont soulevé le problème, mais sans parvenir à dissiper la crainte qu’en minimisant l’importance de l’objectivité, on risque d’affaiblir l’esprit inquisiteur. En quête d’une approche plus équilibrée à la connaissance, Skolimowski en est venu à proposer de remplacer le sacro-saint yoga de l’objectivité pure par ce qu’il appelle «le yoga de la participation». Soit un mode d’acquisition du savoir fondé sur la globalité de l’univers, l’interconnexion de tout ce qui s’y trouve, et notre indéniable présence en son sein. Présence qui nous amène à observer scientifiquement sa nature et sa structure tout en y étant parties prenantes.

Willis W. Harman reprend cette idée dans A Re-examination of the Metaphysical Foundations of Modern Science:

«En contexte de recherche objective, l’observateur s’efforce autant que possible de rester détaché de ce qu’il observe, alors que dans la recherche participative, l’observateur acquiert des connaissances en s’identifiant à l’objet de son observation. Plutôt que de faire appel à une conscience objective, la recherche participative mise sur une conscience interactive qu’on pourrait qualifier de compatissante ou empathique. Cette approche exige une formation adéquate qui fait place au “yoga de la participation” – très différent de l’actuel yoga de l’objectivité enseigné dans nos écoles.»



Apprendre à voir les choses de l’intérieur

La recherche participative n’exclut pas une part de subjectivité, d’autant moins que la science conventionnelle ne permet ni d’objectiver ni de quantifier notre expérience subjective du réel, autrement dit notre conscience. Plutôt que de rejeter d’emblée toute forme d’expérience personnelle, le chercheur participatif s’applique à en saisir l’essence et les mécanismes.

Cette approche fait d’ailleurs son chemin au sein même de la communauté scientifique «objective», comme le souligne la biologiste Elisabet Sahtouris dans Biology Revisioned:

«La notion de partenariat entre chercheur et phénomène se révèle non seulement intéressante, mais importante. Des scientifiques amérindiens affirment qu’ils doivent faire corps avec la nature pour apprendre d’elle, une idée pour le moins novatrice pour la majorité des scientifiques occidentaux. Mais ils ne sont pas les seuls. Qu’on pense à Barbara McClintock qui s’identifiait à son maïs, à Jonas Salk qui apprenait à penser comme un virus, ou à Lynn Margulis vouée à percer l’intelligence et la conscience des bactéries.»

McClintock, dont les travaux ont été couronnés par un prix Nobel en 1983, n’avait rien contre les fondements de la science conventionnelle. Mais elle n’en a pas moins ouvert la voie à une approche nettement participative dans son étude des chromosomes du maïs en phase de reproduction.

«Plus je travaillais avec eux, plus les chromosomes grossissaient. Et lorsque je les étudiais de plus près, je ne faisais pas que les observer, j’entrais dans leur système. À ma grande surprise, je me sentais comme si j’étais des leurs, comme s’ils étaient mes amis… À force de les observer de l’intérieur pour mieux les connaître, ils en sont venus à faire partie de moi.»

Un paradigme plus équilibré s’impose

L’approche dominante actuelle en matière d’acquisition du savoir a trompeusement déifié l’observateur neutre censé pouvoir décrire la nature «telle qu’elle est», sans interférence d’aucun biais ni d’aucune valeur personnelle. L’approche participative n’adhère pas à cette religion. Elle introduit d’autres critères essentiels à l’étude scientifique d’observations et d’expériences qui débordent du cadre de la réalité strictement physique.

Elle mise entre autres sur la fiabilité de tests multiples plutôt que sur la reproduction de résultats précis par le biais d’essais en environnement contrôlé. La crédibilité, la fidélité, la transférabilité et la confirmabilité y sont aussi mises à contribution. Ces critères complémentaires permettent aux chercheurs d’accéder à toutes les données probantes, et non seulement aux données froidement quantifiables si chères aux empiristes.

Soumis à l’examen de juges compétents et vigilants, soucieux de vérifications consensuelles, ces critères ont notamment le mérite de permettre l’étude des textes védiques dans l’esprit où ils ont été conçus. Ils facilitent en outre l’analyse des expériences subjectives rapportés par les spiritualistes érudits et chevronnés.

Les Védas préviennent clairement leurs lecteurs qu’une grande partie de leur contenu déborde du cadre des simples perceptions sensorielles. Mais ils présentent parallèlement diverses méthodes pour affiner nos facultés perceptuelles et vérifier ce qui échappe à l’observation directe.

Les idées reçues et profondément ancrées dans les milieux universitaires en ce qui concerne nombre de textes anciens ne pouvant être validés selon les critères de la science moderne ont la vie dure. Les temps changent toutefois. Le réductionnisme voit peu à peu son lustre ternir. Les biais inhérents à la recherche deviennent de plus en plus évidents. Et pour beaucoup de scientifiques et de penseurs, un nouveau paradigme s’impose en matière d’acquisition du savoir. Un paradigme où l’objectivité reconnaît et intègre sciemment la subjectivité. Où la science ne porte plus que sur le monde physique, mais sur l’ensemble de la réalité.

Objectivité 101