J’ai bien peur que oui! La frontière entre rêve et réalité est en effet plus ténue qu’il n’y paraît.

Tout se joue en fait au niveau de la conscience. Or, la conscience n’a rien de monolithique. S’il est vrai que nous sommes tous des êtres conscients, il est tout aussi vrai que la conscience des uns n’est pas celle des autres, et que ma propre conscience fluctue au gré des heures et des jours, de même qu’au fil de mes expériences et de mes apprentissages.

Les Védas définissent globalement trois états de conscience chez l’être vivant :

L’état d’éveil relatif, dans lequel nous vaquons couramment à nos activités quotidiennes. Relatif, parce que la réalité sensorielle, émotionnelle et intellectuelle dans laquelle nous évoluons – la seule que nous connaissions généralement – est elle-même relative et partielle.

L’état de sommeil avec rêve, dans lequel les fonctions végétatives du corps physique (respiration, circulation sanguine, digestion, etc.) sont pour ainsi dire sur le pilote automatique, tandis que le corps subtil – composé du mental, de l’intelligence et de l’ego – transporte l’âme dans une dimension non soumise aux limites et aux contraintes du corps physique. Mais comme ce dernier ne peut continuer de fonctionner seul très longtemps, l’âme doit bientôt le sortir de sa torpeur pour replonger dans la réalité de la vie éveillée.

L’état de sommeil sans rêve, dans lequel la conscience est complètement voilée. Cet état caractérise non seulement nos périodes de sommeil profond, mais aussi l’état dans lequel se trouve une personne sous anesthésie générale, celui dans lequel se trouve l’âme dans le ventre d’une mère tandis qu’un fœtus se développe autour d’elle, et celui dans lequel l’âme se voit plongée lorsque l’univers matériel se résorbe à l’état non manifesté au moment de sa dissolution.

La face cachée de la réalité

Ce qui a tendance à nous échapper, c’est que la réalité du corps et de l’esprit est elle-même illusoire. Le corps et l’esprit sont bien réels, mais le fait que nous nous identifions complètement à eux relève de l’illusion et nous plonge dans un état de rêve éveillé que nous prenons pour notre réalité propre.

Lorsque nous émergeons d’un rêve nocturne, nous nous dissocions facilement de tout ce que nous avons pu faire, penser et ressentir pendant ce rêve, car nous avons conscience du fait qu’il s’agissait d’une fabrication de l’esprit. Nos rêves nocturnes sont de très courte durée, si bien que nous n’avons aucun mal à comprendre qu’ils sont le fruit d’une projection fugace. Mais notre état d’éveil relatif est si long entre deux périodes de sommeil que nous le pensons tout à fait réel, alors qu’il s’agit d’une autre forme de rêve.

L’état de plein éveil est celui dans lequel l’âme a pleinement conscience de sa nature spirituelle et éternelle, et du fait que le corps dans lequel elle se trouve n’est qu’un support temporaire conçu en fonction de ses désirs et mis à sa disposition pour lui permettre de parachever son cheminement personnel. La réalité de l’âme est distincte de celle du corps dans lequel elle voyage entre deux destinations.

À preuve, je suis témoin des battements de mon cœur, des poils et des cheveux qui poussent sur mon corps et sur ma tête, de mes fonctions respiratoire et digestive… mais aucun de ces processus n’exige un effort conscient de ma part. Je suis également témoin de l’activité de mon mental en rêve comme à l’état de veille, que j’en dirige ou non les pensées et les désirs en réaction aux impulsions qu’il reçoit des sens.

Observateur tantôt actif, tantôt passif de mon corps physique et de mon corps subtil, ce n’est que lorsque je m’éveille à mon identité réelle, au-delà de l’un comme de l’autre, que je cesse de m’identifier à ces enveloppes éphémères, que je parviens à me dissocier de mes rêves aussi bien diurnes que nocturnes, et que je commence à vivre ma vie au lieu de la rêver.

Pour voir si vous m’avez bien suivi, voici une question particulièrement difficile (ou facile, c’est selon) :

Dans quel état de conscience se trouvent les millions de personnes à travers le monde dont le premier réflexe, à l’annonce d’une pandémie potentiellement mortelle, est de prendre les commerces d’assaut et de jouer du coude avec un maximum de personnes potentiellement contagieuses pour leur disputer les stocks de papier hygiénique?

Non mais, je rêve ou quoi?

Non mais, je rêve ou quoi?