La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
D’une pierre deux coups
Rappelons que Krishna s’est simultanément vu imploré de venir en aide aux rois emprisonnés par le démoniaque Jarasandha, et invité par le sage Narada à se rendre à Indraprastha pour assister au sacrifice organisé par le roi Youdhisthira. Par souci d’équité, il a demandé conseil à son fidèle ami Uddhava quant à la meilleure voie à suivre. Pesant mûrement les considérations en cause, Uddhava lui répond comme suit:
— Cher Seigneur, puisque le sage Narada t’implore de te rendre à Indraprastha pour exaucer le souhait de Youdhishthira, qui s’apprête à accomplir le rajasouya, je pense que tu devrais répondre à son invitation afin d’assister le roi dans cette grande aventure. Toutefois, il est aussi de ton devoir de protéger les âmes qui s’en remettent à toi. Or, ces deux objectifs peuvent simultanément être atteints pour peu que nous envisagions la situation dans son ensemble.
À moins de conquérir les royaumes de toutes les contrées et de s’assurer de l’appui de tous les rois, nul ne peut accomplir le rajasouya. Autrement dit, le roi Youdhishthira ne peut entreprendre ce grand sacrifice sans d’abord imposer la défaite au belliqueux Jarasandha. Ainsi devons-nous d’abord nous occuper de Jarasandha, car si d’une manière ou d’une autre nous arrivons à le vaincre, nous parviendrons du même coup à toutes nos fins. Les rois emprisonnés seront relâchés par ta grâce, et tu pourras librement prendre part au sacrifice de Youdhishthira.
Jarasandha n’est toutefois point un homme ordinaire. Il possède la force de dix mille éléphants, et s’est avéré un adversaire redoutable même pour d’illustres guerriers. S’il est quelqu’un qui puisse vaincre ce vil roi, ce ne peut être que Bhima, qui jouit d’une puissance égale à la sienne. Et le mieux serait que Bhima s’engage dans un combat singulier avec Jarasandha, de manière à éviter la mort d’innombrables soldats, d’autant qu’il serait fort malaisé de conquérir le tyran en présence de ses divisions militaires.
Préférons donc une approche plus habile à la situation. Nous savons Jarasandha fort dévoué aux brahmanas, et disposé à leur faire des dons charitables; jamais il ne néglige une seule de leurs requêtes. Je pense donc que Bhima devrait l’approcher déguisé en brahmana et implorer de lui la charité pour ensuite le provoquer en duel. Afin d’assurer la victoire de Bhima, je suis en outre d’avis que tu devrais l’accompagner, car en ta présence, même l’impossible devient possible.
Je pense donc que tu dois répondre sans tarder à l’invitation du roi Youdhishthira et prendre la route d’Indraprastha, où sont conviés tous les monarques de la Terre. Tu pourras par la même occasion veiller à ce que soient vaincus les rois impies, à commencer par Jarasandha. Ainsi les rois captifs pourront-ils être libérés, et le sublime sacrifice qu’est le rajasouya pourra être accompli sans encombre.
Toute l’assemblée, inclusion faite de Krishna et Narada, apprécia les conseils d’Uddhava et jugea que le voyage du Seigneur à Hastinapoura serait bénéfique à tous égards. Krishna demanda donc la permission de partir à son père, Vasoudéva, et à son grand-père Ugrasena, le roi des Yadous. Puis Il donna l’ordre à ses serviteurs de préparer le voyage et fit ses adieux à son frère Balarama. Lorsque ses reines, leurs enfants et leurs bagages furent prêts, Krishna prit place sur son char, surmonté d’un étendard à l’effigie de Garuda, l’aigle porteur du Seigneur.
Avant que la procession se mette en branle, Krishna honora de nouveau le grand sage Narada de diverses offrandes. Ce dernier aurait voulu se prosterner aux pieds de Krishna, mais respectant le fait que le Seigneur jouait le rôle d’un être humain, il se contenta de lui offrir son respect en son for intérieur. Puis, fixant en son cœur la sublime forme du Seigneur, il quitta le palais d’assemblée par la voie des airs.
Quant au messager des rois emprisonnés, Krishna l’assura qu’ils n’avaient rien à craindre, que très bientôt, il s’assurerait personnellement de la mise à mort du démoniaque Jarasandha. Fort de cette assurance, le messager s’en retourna auprès des captifs et leur transmit la bonne nouvelle.