Dans la série «Les neuf clés de la bhakti».
Voir les volets précédents.
Tout le monde prie. Qui n’a pas un jour prié le Ciel de sauver son enfant, ou de surmonter une épreuve? Ne voit-on pas à gauche et à droite des gens prier l’Univers d’améliorer leur sort ou celui de l’humanité? Même le plus impie des athées risque un jour ou l’autre de se surprendre, en désespoir de cause, à prier une quelconque Force de lui venir en aide.
Certains, j’en conviens, n’appellent pas ça «prier», mais ils n’en «demandent», «espèrent» ou «attendent» pas moins une intervention à proprement parler surnaturelle, c’est-à-dire au-delà de tous les moyens naturels dont ils disposent. Ce qui revient à dire que, peu importe la forme qu’elle prend, la prière est en fait tout ce qu’il y a de plus naturel chez l’humain.
Naturelles ou pas, à qui donc s’adressent toutes ces prières? Quel est ce Ciel que certains invoquent? Qui est cet Univers ou cette Force à qui ou à quoi l’on demande de faire ce que l’on n’arrive pas à faire soi-même? La question se pose, puisqu’une requête ne peut s’adresser, à toutes fins utiles, qu’à une personne à même de la recevoir et d’y donner suite. Le bleu du ciel ou les nuages qui le sillonnent n’ont aucune chance de nous répondre. Pas plus que les planètes, les astéroïdes ou le vaste espace intersidéral de l’univers. Faute de savoir à qui s’adressent nos prières, nous ne pouvons qu’espérer que quelqu’un nous entende, mais qui? Aussi bien lancer une bouteille à la mer!
Encore faut-il savoir prier
Le bhakti-yogi, qui a conscience de la nature personnelle de l’Absolu, au-delà de ses aspects impersonnel et localisé, sait très bien, quant à lui, à qui il adresse ses prières. Cette sixième clé de la bhakti qu’est la prière (vandana en sanskrit) se veut pour lui un autre moyen de communication avec le Divin.
La prière figure parmi les pratiques que tout spiritualiste gagne à intégrer à son programme de développement personnel. Pour en retirer tout le bénéfice, il faut cependant savoir prier. Le Shrimad-Bhagavatam enseigne en effet que dans un contexte d’élévation spirituelle, prier ne consiste pas à simplement quémander des faveurs à tout-va. Une prière offerte en pleine conscience comporte à vrai dire quatre volets.
En approchant le Seigneur des seigneurs, un bhakta lui adresse tout d’abord des louanges. Il lui signifie ouvertement son admiration, son appréciation et tout le respect qu’il lui porte.
En second lieu, il exprime humblement au Seigneur sa propre incapacité à surmonter par lui-même les contingences de ce monde, de même que son inaptitude à le servir comme il se doit.
En troisième lieu, il remercie son Seigneur adoré du fond du cœur pour tout ce qu’il lui a donné et tout ce qu’il lui donne encore, jour après jour, et il lui témoigne sa plus profonde gratitude.
En quatrième et dernier lieu seulement, il fait part au Seigneur bienheureux de la bénédiction qu’il le prie de lui accorder.
Encore faut-il savoir quoi demander
Et pas n’importe quelle bénédiction! Un spiritualiste ne prie pas en vain. La plupart des gens prient afin d’obtenir des faveurs personnelles: la santé, la réussite, la richesse… Certains prient même dans l’espoir de gagner à la loterie, ou qu’il fasse beau le jour du pique-nique en famille qu’ils ont si soigneusement préparé. Pas le bhakta.
Dans le cadre de cette pratique inhérente à la bhakti, le spiritualiste prie plutôt le Seigneur de lui donner l’intelligence et la détermination de poursuivre sa quête de réalisation de soi. De lui indiquer comment il peut mieux le connaître, le servir et se rapprocher de lui. Ou la meilleure façon de servir le plus grand bien de ses semblables. Jamais il ne sollicite une quelconque bénédiction matérielle pour lui-même.
En suivant le processus en quatre étapes décrit ci-dessus, il peut toutefois prier le Bienheureux de protéger ou d’adoucir les souffrances d’une personne chère, ou encore d’améliorer le sort d’autrui. Certains se demandent si ce genre de prière porte réellement fruit, et la réponse est oui. Le Seigneur se fait un plaisir d’accéder dans la mesure du possible aux requêtes sincères et senties de ses fervents dévots. Les purs miracles ne sont pas souvent à l’ordre du jour pour des raisons parfois évidentes, parfois largement au-delà de notre entendement, mais les témoignages de la bienveillante intercession du Tout-puissant sont légion.
… ou ne rien demander
On ne saurait clore le chapitre sur cette sixième clé de la bhakti sans souligner que de nombreux yogis pratiquent la prière sans autre motif que de glorifier le Suprême. Les gloires de l’Absolu sont sans limite et sans fin, et le spiritualiste absorbé dans le service du Suprême avec amour et dévotion éprouve une joie grandissante à les écouter, à les chanter et à se les remémorer. Ce qui l’amène tout naturellement à pratiquer les trois premières clés de la bhakti.
Certains composent spontanément des prières de louange à l’intention du Seigneur. D’autres lisent et récitent les prières offertes par de grandes âmes réalisées. Il s’en trouve de magnifiques, inspirées et inspirantes, hautement instructives et édifiantes, dans divers écrits tels que la Brahma-samhita, le Gautamiya-tantra, le Shrimad-Bhagavatam et d’autres Puranas. S’en imprégner de façon quotidienne permet à l’esprit de sublimer les assauts des sens et du mental, et d’apprendre à apprécier toujours plus les splendeurs du Divin, en soi-même et dans tout ce qui nous entoure.
La prière féconde recèle un grand pouvoir purificateur et libérateur. Elle peut à elle seule, pratiquée dans cet esprit, ouvrir toutes grandes les portes de la réalisation spirituelle. Il n’est donc pas étonnant que cette clé s’ajoute au trousseau des bhakti-yogis!