Photo de Galina Barskaya

Dans la série «Les neuf clés de la bhakti».

Voir les volets précédents.

Le pendant naturel de l’écoute active (la première clé de la bhakti) consiste à exprimer ses pensées, ses sentiments et ses émotions par la parole. Les deux font la paire, et la réciprocité des échanges qui en découlent donne lieu à une communication ouverte.

Lorsque l’écoute porte sur le Divin, le Divin nous parle directement. Et lorsque la parole est dirigée vers le Divin, elle devient chant, bouclant ainsi la boucle d’une communication non seulement ouverte, mais sublime et transcendante. Le Divin parle au bhakta, et le bhakta lui répond.

Dans le cadre du bhakti-yoga, l’écoute et le chant sont codifiés de manière à maximiser l’impact des vibrations spirituelles modulées par le yogi. L’émission et la réception du son se font systématiquement écho dans un ballet continu, et élèvent spontanément l’âme au niveau absolu.

Les bhaktas tirent parti de cette deuxième clé de la bhakti en entonnant des mantras composés de noms du Divin, ou à la gloire de l’Absolu dans sa forme personnelle. Les Védas recommandent d’ailleurs tout particulièrement, pour l’époque à laquelle nous vivons, le chant du mantra adressé au Couple Divin, en invoquant la nature à la fois féminine et masculine de l’ultime réalité, par la mise en relation de trois vocables : Haré, Krishna et Rama. Le premier désigne la puissance énergétique du bonheur suprême, la félicité personnifiée, aussi appelée la Mère ou la Déesse (Hara); le second désigne l’Absolu comme l’infiniment fascinant (Krishna), et le troisième, comme le Père bienveillant, seigneur et maître de tout ce qui existe, et source de plaisirs spirituels sans cesse renouvelés (Rama):

Haré Krishna, Haré Krishna
Krishna Krishna, Haré Haré
Haré Rama, Haré Rama
Rama Rama, Haré Haré

Dans le Shrimad-Bhagavatam, le sage Shoukadéva Gosvami parle en ces termes du pouvoir de ce mantra au roi Parikshit:

«Non seulement les bhaktas, mais les personnes avides de récolter les fruits de leurs actes, les spiritualistes en quête de salut ou de libération qui aspirent à ne plus faire qu’un avec l’Absolu, et les yogis voués au mysticisme ou à l’obtention d’attributs surnaturels, tous peuvent parfaire leur existence et obtenir tous les bienfaits souhaitables en chantant le grand mantra de la transcendance, le maha-mantra Haré Krishna.»

Japa

Aux fins de la bhakti, l’expression vocale peut revêtir différentes formes, techniquement connues sous le nom de japa, kirtana, bhajana et sankirtana.

Le japa consiste à réciter, psalmodier ou chanter un mantra de façon répétée. Il se pratique seul; à voix haute ou à voix basse; assis, debout ou en marchant; en séances de quelques minutes ou de plusieurs heures; et le plus souvent en égrenant les perles d’un chapelet appelé japa-mala. Il s’agit de la forme de méditation généralement privilégiée par les bhaktas.

Les mantras védiques recèlent une grande force spirituelle. Aussi le japa vise-t-il à concentrer le mental sur l’écoute attentive de chaque syllabe du mantra afin de s’en imprégner pleinement, en évitant de laisser divaguer ses pensées. Et la répétition du mantra permet d’accentuer la concentration sur la vibration sonore, jusqu’à prendre la forme d’un dialogue soutenu avec le Divin.

L’usage d’un japa-mala permet en outre d’engager le sens du toucher et d’établir le nombre de mantras récités dans le contexte d’une discipline assidue. Dans l’esprit d’une démarche yogique soutenue, il est en effet de mise d’intégrer une pratique comme le japa à son quotidien afin de consacrer un temps déterminé à élever ses pensées au-delà des préoccupations matérielles qui accaparent la plus grande partie de nos vies.

Kirtana

Le kirtana repose également sur la modulation de mantras, mais en groupe, suivant une ligne mélodique et avec accompagnement d’instruments de musique, voire de pas de danse. Une personne conduit le chant en entonnant seule le mantra, après quoi les autres participants lui répondent en répétant le mantra en chœur.

Alors que le japa ne bénéficie qu’à la personne qui le pratique, le kirtana permet à tous les participants d’absorber l’énergie spirituelle des mantras tant par l’écoute que par le chant. Il peut aussi grandement favoriser la concentration sur les vibrations sonores, et ainsi contribuer à intensifier l’expérience yogique.

Bhajana

Le bhajana a ceci de particulier qu’il peut se pratiquer seul ou en groupe. Comme le kirtana, il est mélodique et accompagné d’un ou plusieurs instruments, mais alors que le kirtana est résolument sonore et souvent même effervescent, le bhajana s’accomplit tout en douceur et prend davantage l’allure d’une méditation.

Cette forme de yoga du chant peut porter sur des mantras usuels, mais elle porte aussi très souvent sur des poèmes à la gloire du Bienheureux composés à différentes époques par de grands maîtres de la bhakti. Parmi eux, pour n’en nommer que quelques-uns, on trouve notamment Vishvanath Chakravarti, Narottam das et Bhaktivinode Thakour.

Sankirtana

Le sankirtana est en quelque sorte une forme amplifiée de kirtana. Tandis que ce dernier se pratique en cercle clos, dans un ashram, un centre de yoga ou un temple, le sankirtana est largement congrégationnel, et s’exécute d’ordinaire à l’extérieur dans un espace ouvert, sur la place publique, ou carrément en cortège dans les rues d’une ville ou d’un village.

Cette formule élargie vise à permettre à un plus grand nombre de personnes de profiter des vibrations spirituelles émanant des mantras chantés, plutôt que d’en restreindre les bienfaits aux seuls participants. Il s’agit là d’une tradition humanitaire établie de longue date au sein de divers mouvements spirituels, tout particulièrement en Inde et dans certains autres pays d’Asie ou d’Orient. Mais elle s’est aussi répandue un peu partout à travers le monde depuis le milieu du 20e siècle.

Chanter l’écrit

Une dernière forme de yoga du chant consiste à lire à haute voix la Bhagavad-gita, le Shrimad-Bhagavatam ou tout autre écrit d’inspiration divine en compagnie d’autres personnes. Leurs versets et leur prose ont en effet même valeur que les mantras védiques, en ce qu’ils mettent directement le lecteur et l’auditoire en contact avec l’Absolu.

De telles lectures favorisent grandement le développement de la bhakti – de la réalisation de soi et de l’amour divin. Car, non seulement l’énergie vibratoire ainsi libérée est-elle libératrice en soi, mais les textes abordés regorgent de descriptions des noms, des formes et des activités de l’Être suprême.

Un véritable passe-partout

Cette deuxième clé de la bhakti, globalement connue sous le nom de kirtana, ouvre décidément beaucoup de portes. Elle met automatiquement à profit les bienfaits de la première clé, soit l’écoute (shravana), et favorise spontanément la mise en application de la troisième clé, celle du souvenir conscient (smarana), dont je traiterai dans le prochain volet de cette série.

Le chant sacré des saints noms ou des gloires du Divin nous met par ailleurs en contact direct avec lui, car ses noms et ses gloires ne sont pas différents de lui, puisqu’il est absolu. Il s’agit donc de vibrations hautement spirituelles qui purifient les sens, le cœur et le mental de leurs attachements matériels, et pulvérisent même les réactions conséquentes aux fautes ou aux impairs que nous sommes susceptibles de commettre sur la voie de la réalisation spirituelle.

Ainsi cette clé, comme toutes les autres, mais peut-être encore plus que toutes les autres, donne-t-elle d’accéder au plan spirituel et de s’y établir. Ce qui explique sans doute qu’à l’instar de bien d’autres écrits faisant autorité en la matière, le Padma Purana en vante ainsi les mérites:

«Quiconque entonne les saints noms et chante les gloires du Bienheureux voit aussitôt s’ouvrir les voies de la libération et de la félicité pure.»

Le yoga du chant