En guise d’introduction à une série de billets inspirés de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra, voici un extrait des Contes de l’Inde ancienne de Guy Tétreault.
Bharavi était un poète de génie qui vivait dans la plus grande indigence. Un jour, sa femme se mit vivement en colère contre lui, ne supportant plus de le voir absorbé dans la poésie en négligeant totalement sa famille. Bharavi résolut alors de se rendre à la cour du roi afin de solliciter son aide.
La route était fort longue jusqu’à la capitale, si bien qu’après plusieurs heures de marche, il s’arrêta près d’un lac pour s’y reposer avant de poursuivre son chemin. Se sentant soudain inspiré, il écrivit de son ongle un verset sur un pétale de lotus :
« L’action accomplie sans discernement engendre de grandes souffrances.
La bonne fortune n’accompagne les nobles qualités de l’homme
que lorsqu’il agit après mûre réflexion. »
(Kiratarjuniya, 2.30)
La Providence voulut que le roi, qui chassait ce jour-là, s’arrêtât près du même lac. Appréciant au plus haut point le verset qu’il lut sur le pétale de lotus, il pria le poète de venir l’honorer de sa présence à la cour. Toutefois, lorsque plus tard Bharavi se présenta aux portes du palais, les gardes refusèrent de le laisser passer, le considérant comme un vulgaire mendiant.
Le roi aimait tant le verset de Bharavi qu’il l’avait fait graver en lettres d’or dans sa chambre afin de pouvoir le lire chaque matin à son réveil. Un jour, au terme d’une semaine de chasse, il revint tard le soir à son palais. En entrant dans sa chambre, voilà qu’il aperçoit un jeune homme couché dans son lit aux côtés de la reine. Furieux, il sort sa dague pour les tuer tous deux quand soudain, son regard croise le verset en lettres d’or.
Brisant son élan, il se prend à penser qu’il est impossible que la reine, si chaste, ait pu entretenir une relation avec un autre homme. Il la réveille donc pour connaître le fin mot de l’histoire, et sa tendre moitié l’informe avec la plus grande joie que le prince, leur fils, enlevé quelques années auparavant, vient tout juste d’être ramené au palais.
Réalisant que la précieuse maxime de Bharavi avait sauvé la vie de son fils et de son épouse, le roi l’envoya chercher en grande pompe et le reçut à la cour avec tous les honneurs royaux.