La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…

Voir l’épisode précédent.

Les Pandavas arrivent

à Hastinapoura

Après la mort du roi Pandou, les sages de la région se réunirent et décidèrent que Kounti et ses cinq fils devaient se rendre à Hastinapoura afin d’y vivre sous la protection de Bhishma, leur grand-père. Les sages les accompagnèrent jusqu’aux portes de la ville, et en apprenant leur arrivée, Bhishma, Dhritarashtra et Vidoura allèrent les accueillir, suivis des citoyens de la capitale.

Les sages s’adressèrent alors aux aînés des Kourous:

— Nous savons tous que Pandou, le roi de la Terre, s’était retiré dans la forêt après avoir conquis le monde, et qu’une malédiction y avait été prononcée contre lui. Or, la mort l’a récemment frappé, et il a rejoint les planètes édéniques.

Voici ses cinq fils. L’aîné s’appelle Youdhishthira; il a été conçu par le gardien des valeurs spirituelles, Yamaraja, et c’est lui qui succédera à Pandou sur le trône. Après lui est né Bhima; conçu par Vayou, le déva du vent, il possède une force sans mesure. Le troisième fils se nomme Arjuna, et a été conçu par Indra lui-même, le roi des planètes célestes. Tous les archers du monde s’inclineront un jour devant lui. Les deux autres enfants s’appellent Nakoula et Sahadéva, et furent engendrés dans le sein de Madri par les dévas jumeaux, les Ashvini Koumaras. La croissance et le développement de ces cinq héritiers du roi fera le bonheur de tous.

Dhritarashtra

Dhritarashtra dit alors à Vidoura:

— Frère, accomplissons les derniers rites funéraires pour Pandou et son épouse, et faisons la charité à tous les nécessiteux.

Les restes des corps du roi Pandou et de la reine Madri furent amenés sur les bords du Gange, oints de parfums et décorés de guirlandes de fleurs, puis brûlés de nouveau, après quoi leurs cendres furent jetées dans le fleuve sacré. Tous les citoyens, jeunes et vieux, pleurèrent amèrement la mort du roi Pandou, et tous observèrent un deuil de douze jours.



Les enfants s’amusent

Quelque temps après, Vyasadéva alla voir Satyavati et lui dit:

— Mère, les jours heureux de la dynastie des Kourous se sont maintenant éteints comme le soleil couchant. Ils seront remplacés par des jours de noir augure. L’empire des Kourous s’effondrera, et je ne souhaite pas que tu sois témoin de la destruction de ta famille. Je te conseille donc de partir pour la forêt afin d’y fixer ton mental sur Vishnou, le Seigneur suprême, protecteur de tous les êtres.

Sur le conseil de son fils, Satyavati se rendit dans la forêt en compagnie d’Ambika et d’Ambalika, les épouses de feu Vichitravirya. Par l’ardeur et la perfection de leur méditation, elles atteignirent toutes trois le monde spirituel.

Entre-temps, les Pandavas furent installés dans le palais de leur défunt père, et ils grandirent dans l’opulence royale. Chaque fois que Bhima s’amusait avec les fils de Dhritarashtra, sa force surhumaine devenait manifeste. Il les surpassait tous en vitesse, en consommation de nourriture et en tourbillons de poussière! Le fils du déva du vent prenait les fils de Dhritarashtra par les cheveux et les faisait se battre entre eux, pendant que lui-même riait aux éclats. Puis il les jetait au sol et les traînait par terre. Tout enjoué qu’il était, il arrivait que Bhima leur brise accidentellement les genoux, la tête ou les épaules. Et lorsque les enfants allaient tous nager ensemble, Bhima avait l’habitude de maintenir une dizaine de ses compagnons sous l’eau jusqu’à presqu’en mourir.

D’autres fois, les fils de Dhritarashtra grimpaient dans un arbre afin d’en cueillir les fruits, et Bhima secouait l’arbre de façon si vigoureuse que les fruits en tombaient, de même que tous les fils de Dhritarashtra! Malgré tout ce qu’il pouvait leur faire subir, Bhima jouait avec eux comme l’aurait fait un enfant normal; jamais ses gestes n’étaient motivés par la malveillance.



Poison et contrepoison

Néanmoins, lorsqu’il devint évident que Bhima pouvait à lui seul défier les cent fils de Dhritarashtra, Duryodhana, l’aîné, entreprit de comploter contre lui et ses frères: «Aucun humain n’est aussi fort que Bhima, songea-t-il. Il se bat impunément contre tous mes frères. Je me dois donc de l’anéantir. Quant à Youdhishthira et Arjuna, je vais les emprisonner. Je deviendrai alors l’unique héritier du trône.»

Empreint d’une telle mentalité, l’ignoble Duryodhana fit construire un palais sur les bords du Gange dans le but apparent de faciliter les jeux aquatiques de cette jeunesse royale. Il avait en tête d’y inviter les Pandavas et d’offrir un gâteau empoisonné à Bhima; une fois inconscient sous l’effet du poison, Duryodhana et ses frères le jetteraient dans le Gange.

Lorsque fut terminée la construction du palais, Duryodhana invita les Pandavas à y pique-niquer en admirant la nature. Ne soupçonnant pas les intentions perverses de Duryodhana, les Pandavas accompagnèrent les fils de Dhritarashtra jusqu’aux rives du Gange et pénétrèrent dans le palais nouvellement construit. Avant d’aller nager, la joyeuse bande entreprit de festoyer, et Duryodhana apporta à Bhima un gâteau contenant assez de poison pour tuer une centaine d’hommes. Puis, tout en l’abreuvant perfidement de douces paroles, il lui apporta tour à tour divers autres mets, tous remplis de poison.

Bhima combattant les Nagas
Illustration de Ramanarayanadatta astri

Après le festin, les garçons sautèrent gaiement dans l’eau. Le poison faisant graduellement effet, Bhima se sentit bientôt fatigué, exténué, si bien qu’il sortit de l’eau pour s’étendre sur la plage. Profitant de la situation, Duryodhana et quelques-uns de ses frères le ligotèrent pour ensuite le jeter dans le Gange. Bhima coula jusqu’au fond de l’eau. Mais des milliers de serpents Nagas résidant en ces lieux le mordirent alors et eurent tôt fait de neutraliser le poison grâce à leur venin.

Reprenant conscience, le deuxième fils de Kounti brisa ses liens et, sans comprendre ce qui lui arrivait, se mit à tuer les serpents qui le mordaient. Les autres serpents s’enfuirent aussitôt pour aller informer Vasouki, leur chef, de ce qui se passait. En apprenant les faits, Vasouki alla à la rencontre de Bhima et résolut de lui conférer une force à même de le protéger contre toute attaque ultérieure. Il lui offrit donc huit bols d’un nectar donnant la force de dix mille éléphants. D’un seul trait, Bhima but le premier bol, puis les autres, et s’étendit sur un lit que lui avaient préparé les serpents.



Un vent d’inquiétude

Pendant ce temps, Pandavas et Kauravas s’en retournèrent à Hastinapoura, croyant que Bhima était rentré plus tôt. Le méchant Duryodhana jubilait à l’idée que Bhima soit maintenant mort, et se trouvait fort joyeux sur le chemin du retour au palais. Quant à Youdhishthira, il ne se doutait de rien.

En entrant dans les appartements de Kounti, l’aîné des Pandavas lui demande tout naturellement:

— Mère, Bhima est-il déjà rentré? Je ne le trouve nulle part. Pendant qu’il nageait dans le Gange, il fut pris de fatigue et alla dormir sur le rivage. Mais après nos jeux, nous ne l’avons pas trouvé.

Informé de la mystérieuse absence de son second fils, Kounti devint nerveuse:

— Mon cher Youdhishthira, je n’ai pas vu Bhima; il n’est pas revenu, que je sache. Retourne sur la plage avec tes frères, et tentez de le retrouver.

Puis, Kounti fit appeler Vidoura:

— Ô illustre Vidoura, Bhima n’est pas encore rentré. Ce matin, les enfants sont allés nager dans le Gange et ils sont revenus sans lui. Or, je sais que Duryodhana hait mon fils Bhima. Il est cruel et malicieux, et n’aspire qu’à s’asseoir sur le trône royal. J’ai bien peur qu’il ait tué Bhima, et cela me brise le cœur.

— Ô sainte femme, cesse de pleurer, lui répondit son beau-frère. Prends bien soin de tes autres fils, cependant. Si Duryodhana est soupçonné de la disparition de Bhima, il pourrait bien tenter de les tuer aussi. Le grand sage Vyasadéva a toutefois prédit que tous tes fils jouiraient d’une longue vie bien remplie. Je suis donc certain que Bhima reviendra bientôt apaiser ton cœur de sa présence.

Un avenir ombrageux

Bhima finit par se réveiller, après huit jours d’un sommeil profond au cours desquels les Nagas avaient pris soin de lui. Ils s’adressèrent alors à lui:

— Ô Bhima, toi qui jouit d’une grande puissance, le nectar que tu as ingurgité te rendra aussi fort que dix mille éléphants. Nul ne sera plus fort que toi au combat. Nous te prions de retourner immédiatement à Hastinapoura, car ta mère s’inquiète énormément de toi.

Puis, les serpents lui offrirent des bijoux et des vêtements de soie avant de le ramener au palais construit par Duryodhana sur les bords du Gange. Bhima courut alors à perdre haleine jusqu’à la capitale, où il entra dans les appartements de sa mère pour se prosterner devant elle. Kounti étreignit son fils tandis que des larmes d’affection coulaient de ses yeux. Eux-mêmes de retour, les frères de Bhima se rassemblèrent autour de lui et l’étreignirent à tour de rôle. C’est alors que Bhima leur raconta tout ce qui lui était arrivé, sans oublier aucun détail.

Après son récit, Youdhishthira dit à Bhima:

— Ne parle de cela à personne. À partir d’aujourd’hui, nous serons sur nos gardes. Guidés par notre oncle Vidoura, rien de fâcheux ne pourra nous arriver.

Du moins l’espérait-il, car cet incident marque en fait le début d’une série d’attentats à la vie des Pandavas par le crapuleux Duryodhana. Les héritiers de Pandou et leur mère ne sont donc pas au bout de leurs peines.

L’épopée du Mahabharata – Épisode 9