Au Québec comme en France, en Belgique et ailleurs, le débat sur la laïcité continue de soulever les passions. C’est que ce principe et ses applications sont loin de faire l’unanimité! Si, toutes proportions gardées, relativement peu de gens s’opposeraient ouvertement de nos jours à la séparation de l’Église et de l’État, les divergences pleuvent à l’égard de questions comme celles qui entourent la liberté de conscience, le port de signes religieux ou les fameux accommodements dits «raisonnables».

Les dispositions et les applications des lois sur la laïcité de l’État – comme la loi 21 au Québec – suscitent des réactions d’autant plus vives qu’elles ont des répercussions directes sur les droits individuels, notamment en ce qui concerne la liberté de religion. L’idéal de neutralité de l’État repose en effet sur l’absence de toute influence religieuse dans la prestation des services publics et dans le traitement des dossiers d’intérêt public. On s’emploie aujourd’hui à l’étendre jusqu’à l’image projetée par les employés, fonctionnaires et représentants de l’État en position d’autorité, lesquels ne devraient désormais afficher aucun signe d’appartenance à quelque religion que ce soit dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans la foulée des mesures prises pour bien enraciner la laïcité de l’État, on note par ailleurs, notamment en éducation, le remplacement à venir du programme d’enseignement Éthique et culture religieuse par Culture et citoyenneté québécoise, un dossier dont je vous ai déjà entretenus. D’autres initiatives ont par ailleurs été annoncées pour faire disparaître des édifices publics toute trace de symboles religieux, et pour confiner la religion aux lieux de culte reconnus, sinon au foyer.

On comprend sans mal que cette tendance lourde dans les démocraties modernes témoigne d’une volonté de se débarrasser d’un poids du passé et des œillères d’une doctrine religieuse quelle qu’elle soit au profit de la liberté de conscience et de l’égalitarisme. L’intention est louable, mais l’approche adoptée pour ce faire comporte plusieurs failles de taille.

Droits et libertés

La première, et non la moindre, concerne la notion même de laïcité, dont la définition et la portée continuent de donner lieu à diverses interprétations. Et les divergences sont encore plus frappantes en matière de liberté de conscience et de religion.

Une des principales raisons en est que certaines dispositions de la loi vont à l’encontre de la Charte des droits et libertés tant québécoise que canadienne. À titre d’exemple, l’interdiction du port de signes religieux par les personnes exerçant une certaine autorité dans la fonction publique est contraire à la définition de la liberté de religion telle que formulée par la Cour suprême du Canada dans un jugement établissant sans détours qu’elle consiste en:

«… le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des convictions religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles, et le droit d’afficher ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation.»

Big M Drug Mart, 1985

Liberté, soit dit en passant, que la loi reconnaît également de droit – toujours dans un esprit d’égalité – aux opposants déclarés à toute forme de religion, qui ne se gênent d’ailleurs pas pour répandre ouvertement et publiquement leurs propres croyances et convictions.

Quant à moi, les problèmes liés à l’adoption et à l’application de lois sur la laïcité de l’État vont cependant au-delà des considérations d’ordre législatif. L’idéal de neutralité de l’État, inhérent au concept de laïcité, est bien sûr noble, mais miné par le fait que l’État est constitué de personnes, et que jamais personne n’est absolument neutre. Ainsi ministres, députés, magistrats, policiers et enseignants sont-ils tantôt athées, tantôt fervents croyants, chrétiens, musulmans ou hindous, agnostiques ou mystiques; or, leur jugement ne peut qu’être influencé par leurs racines et leurs croyances ou convictions personnelles, et ce, malgré les visées impersonnelles de l’État. Ce qu’illustrent d’ailleurs à répétition les écarts, les faux pas et les abus relevés par les médias à tous les échelons de l’appareil public.

Parlant d’égalité…

La séparation des institutions publiques et des organisations religieuses est une chose. L’égalité de tous devant la loi et les instances publiques quelles que soient les croyances ou les convictions de chacun en est une tout autre. Une société fondamentalement égalitaire ne peut naître que d’un système d’éducation propre à inculquer l’entendement de l’égalité réelle de tous les êtres. Or, cette égalité n’est ni civile ni civique, n’en déplaise à nos législateurs. Elle n’existe que sur le plan spirituel. Je dis bien «spirituel», et non «religieux». Cette distinction contribuerait grandement à démêler l’écheveau des arguments pour ou contre la laïcité de l’État.

Les Védas préconisent sans ambages un mode de gouvernance libre de l’influence de quelque religion que ce soit – donc laïque au sens de notre propos. Pourquoi? Parce que les religions reposent sur différents dogmes, croyances et pratiques plus ou moins mutuellement exclusifs, donc incompatibles avec nos idéaux d’égalité.

La culture védique voit les religions comme autant d’expressions d’une certaine forme de spiritualité, au même titre que les grandes écoles de pensée philosophiques sur la nature de l’univers et le sens de la vie, ou que les multiples pratiques yogiques, tantriques ou ascétiques axées sur la quête de la transcendance. L’adhésion à une religion, à une philosophie ou à une pratique connexe relève de la vie privée, et la multiplicité des croyances qui en découlent fait qu’elles n’ont pas leur place dans une gestion neutre, égalitaire et unifiée de l’État. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on doit les nier, les cacher ou les faire taire! Elles sont d’ailleurs tout naturellement reconnues et respectées dans la société védique. Un modèle à suivre.

À suivre…

Laïcité et spiritualité (1/2)