Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce billet, la mise en œuvre des lois sur la laïcité de l’État se heurte à divers obstacles, notamment en matière de droits et libertés, mais aussi en ce qui a trait à l’idéal de neutralité et d’égalité de l’État. Ce qui m’a permis d’introduire un facteur largement ignoré dans nos démocraties modernes, mais de tout temps au cœur même de la pensée védique, à savoir que l’égalité n’existe véritablement que sur le plan spirituel, et qu’il est primordial de distinguer la notion de spiritualité des multiples croyances et doctrines religieuses qui s’en inspirent.


L’affirmation selon laquelle l’égalité n’existe que sur le plan spirituel s’explique par le fait que d’un point de vue matériel, il n’y a pas deux personnes égales. Tout un chacun est plus ou moins petit ou grand, riche ou pauvre, instruit ou ignorant, généreux ou mesquin…, vous comprenez le principe. C’est une évidence criante. Ne peuvent être dites un tantinet égales que des personnes ayant en commun quelque trait physique ou moral. Alors prétendre à l’égalité de tous devant la loi et la société en général… vœu pieux tout au plus.

Seule une conception matérielle de l’existence peut prétendre à l’égalité là où toutes les désignations applicables aux individus de différentes nationalités, constitutions, éducations et croyances ne font que ressortir et entretenir les inégalités.

De même, seule une conception matérielle de l’existence peut prétendre à la liberté de conscience là où les consciences sont conditionnées dès l’enfance à épouser des schèmes de pensée propres à une nation, à une communauté, à une classe sociale ou à un groupe d’intérêt quelconque.

La seule vraie égalité appartient à l’étincelle de vie commune à tous les êtres, à l’âme spirituelle qui chemine en ce monde au sein d’enveloppes physiques et mentales aussi variées qu’il y a d’individus. Selon les Védas, nous ne sommes tous égaux que par notre nature d’êtres foncièrement spirituels en cheminement à travers le temps et l’espace, d’une vie à l’autre et d’une forme de vie à une autre. Notre égalité ne tient à aucun moment à notre appartenance à une société donnée ou à notre adhésion à un quelconque système de pensée ou de croyances.

La seule vraie liberté de conscience repose quant à elle sur une éducation fondée sur l’égalité spirituelle de tous les êtres et sur une compréhension holistique des grands enjeux de l’existence et de la vie en société.

De solides bases spirituelles

C’est pourquoi les Védas assoient la laïcité de l’État sur une solide éducation spirituelle. Seule une juste compréhension du matériel ET du spirituel assure en effet l’objectivité nécessaire à une gouvernance éclairée, libre aussi bien d’influences religieuses sectaires que d’une vision purement matérielle de l’univers, des êtres et de la vie en général – par conséquent de la société à gouverner.

À quoi ressemble une telle éducation? Outre d’apprendre à leurs élèves à lire, à écrire et à compter, les maîtres ont la charge de leur apprendre à penser et à vivre. De développer leur jugement et leur sens critique. Et de leur inculquer les valeurs propres à en faire des êtres humains accomplis et des citoyens responsables.

Il va sans dire que le milieu familial peut et doit idéalement être un terreau fertile au sain développement de l’enfant, mais la tâche d’enseigner connaissances générales, sciences et philosophies est tout aussi idéalement confiée à des maîtres compétents dont c’est proprement l’occupation et la responsabilité.

Une éducation équilibrée

Dans la culture védique, de tels maîtres (enseignants et enseignantes) doivent eux-mêmes avoir été formés à distinguer la matière de l’esprit, de sorte à pouvoir à leur tour enseigner à leurs élèves la nature et le fonctionnement de l’énergie spirituelle qui sous-tend la vie parallèlement à la nature et au fonctionnement de l’énergie matérielle.

L’éducation spirituelle des générations montantes doit ainsi occuper une part importante du programme d’études. Aux connaissances pratiques en langue, en arithmétique, en géographie et en histoire doit en effet s’ajouter l’apprentissage tout aussi pratique de l’art de vivre en pleine conscience de son identité spirituelle.

Il ne suffit pas de dire à un enfant qu’il est de nature spirituelle pour qu’il en saisisse le sens et la portée. Le système d’éducation védique lui transmet les riches enseignements des Upanishads et des Puranas en la matière. Il lui apprend concrètement à maîtriser ses sens et son mental par la pratique de la méditation, l’usage des mantras et l’application de différentes techniques yogiques. Il le sensibilise en outre aux mécanismes universels du karma de même qu’aux principes moraux qui régissent les rapports humains, et il lui inculque le sens des responsabilités et du devoir envers ses proches, sa communauté et la société en général, à savoir les principes du dharma.

Au fil de ses années d’études, l’enfant devenu adolescent apprend à développer son jugement et sa pensée critique en prenant connaissance des principales écoles de pensée philosophiques et des valeurs communes aux grands courants spirituels offrant diverses approches à la compréhension du monde et de l’Absolu.

Une fois établi dans la conscience de soi et des autres, dans la compréhension des grandes lois de l’univers et dans la connaissance de son lien à l’Absolu, le jeune adulte est fin prêt à aborder la vie active en société et à continuer de parfaire son évolution spirituelle. La laïcité de l’État ne pose pour lui aucun problème. Il continuera de parfaire ses connaissances techniques dans le champ d’activité professionnelle qui sera le sien, tout en faisant fond sur son éducation spirituelle pour œuvrer au mieux-être de tous en faisant quotidiennement le nécessaire pour se réaliser pleinement. Autrement dit, pour continuer à vivre comme il a appris à le faire durant ses études: en accordant à sa vie spirituelle une part au moins aussi importante qu’à sa vie civile, familiale et professionnelle.

Donc, la laïcité, oui, mais pas sans la spiritualité! Sinon, elle sera toujours source de conflits, et jamais elle ne suffira à assurer le plein épanouissement de chacun.

Laïcité et spiritualité (2/2)