C’est ce que vous répondra la coqueluche de l’heure si vous lui posez la question. Je parle bien entendu des avatars de l’intelligence artificielle propulsés au-devant de la scène depuis quelques mois. Mais qu’en est-il au juste, de cette forme d’intelligence? En quoi concurrence-t-elle, complémente-t-elle ou menace-t-elle les autres formes d’intelligence?

Entendons-nous d’abord sur le choix des mots. L’appellation «intelligence artificielle» est tout aussi trompeuse que «téléphone intelligent».

Mon téléphone n’est pas intelligent. Il est programmé pour accomplir un large éventail de tâches bien précises et pour faire fonctionner les applications que j’y télécharge. Il ne peut pas déterminer par lui-même si j’ai besoin ou non d’une application particulière à quelque moment que ce soit. Il ne peut pas non plus me dire si je devrais ou non l’utiliser pour photographier le paysage devant lequel je me trouve. Et ce n’est pas lui qui va m’envoyer un texto pour me rappeler que ça fait longtemps que je n’ai pas écrit à ma mère et qu’elle s’ennuie peut-être de moi (à moins que je l’aie programmé pour le faire).

Il en va de même de «l’intelligence artificielle». Ses concepteurs et ses développeurs sont formels: leur bébé est incapable de jugement et de discernement. Il n’a pas d’opinions, non plus que la faculté de distinguer le vrai du faux. Il n’a pas d’intelligence à proprement parler.

L’intelligence artificielle dont on parle tant ces derniers temps – celle à laquelle vous pouvez poser des questions ou demander d’écrire une chanson ou un argumentaire de vente – est une gigantesque base de données interactive et évolutive assortie d’algorithmes qui permettent non seulement de découper, classer, trier, répertorier et stratifier l’information, mais aussi de déterminer les liens existants entre les données disponibles et d’en établir de nouveaux.

L’IA est programmée pour agir et réagir à l’intérieur de paramètres bien précis. Elle n’admet aucune proposition qui va à l’encontre des fonctions qui lui sont attribuées. Et les décisions qu’elle est appelée à prendre sont de nature purement probabiliste, fondées sur des modèles statistiques, logistiques et relationnels hautement perfectionnés.

Elle imite en cela une certaine forme d’intelligence rationnelle, mais demeure strictement «mécanique», impersonnelle, sans considération aucune pour quelque facteur d’ordre humain, ou «organique» que ce soit. L’IA est incapable d’intuition, d’empathie, de réflexion ou tout simplement de «penser», de la façon dont je pense, par exemple, à mon chat ou à une idée complètement révolutionnaire. Elle n’a pas de tête et elle n’a pas de cœur, donc pas d’intelligence émotionnelle non plus.

Prise de conscience

Il y a longtemps qu’on développe et utilise l’IA, comme on l’appelle, et ce, dans de nombreux domaines. Mais cette nouvelle incarnation de la chose qui a appris à répondre à nos questions – poliment de surcroît – et à produire les textes ou les œuvres d’art que nous lui demandons nous fait soudain prendre conscience de la puissance et du potentiel des algorithmes de plus en plus sophistiqués qui font tourner le moteur de la bête.

Faut-il se réjouir ou s’inquiéter des exploits actuels et à venir des ingénieux algorithmes (ma traduction d’IA)? C’est la question que tout le monde se pose, y compris les concepteurs et développeurs de ces supermachines.

Vous avez lu et entendu comme moi éloges, critiques et analyses de la question. Je vous épargne donc les nombreuses anecdotes amusantes ou à faire frémir rapportées dans les médias à ce sujet. J’aimerais plutôt susciter ici une réflexion sur la place que nous accordons à la technologie dans nos vies et sur la portion de notre espace mental, émotionnel, intellectuel et spirituel que nous lui laissons envahir.

Les robots sont parmi nous

La science-fiction a depuis toujours fait ses choux gras de la menace d’un Big Brother omniprésent et omnipotent, ou de ces robots qui, devenus plus forts et plus intelligents que leurs créateurs, finissent par prendre le contrôle du monde.

Or, le fait est que certains aspects de ces scénarios font déjà partie de notre réalité.

Des robots assurent désormais le fonctionnement de réseaux de transport et de chaînes de montage et d’approvisionnement beaucoup plus efficacement, précisément, rapidement et sécuritairement qu’aucun humain pourrait jamais le faire.

Des superordinateurs effectuent couramment un nombre astronomique de calculs et d’opérations par seconde dans une foule d’applications qui demeureraient impensables pour les simples homo sapiens que nous sommes.

Sans parler des plateformes de service à la clientèle ou de soutien technique entièrement automatisées. Ni de toutes ces puces et de tous ces témoins ou mouchards qui nous traquent et que les grandes filières commerciales mettent à profit pour nous localiser et pour aiguillonner sans relâche le consommateur en nous en fonction de notre âge, de nos intérêts et de nos habitudes – sans qu’aucun humain n’ait à intervenir dans le processus!

Il devient d’ailleurs de plus en plus difficile d’échanger avec une «personne» dans nos rapports avec les grandes entreprises, les institutions financières, les organismes publics et les divers ordres de gouvernement. La notion de vie privée devient de plus en plus mythique, et nous perdons effectivement le contrôle de plusieurs aspects de nos vies tout en ayant l’impression d’être encore aux commandes.

L’IA remplacera-t-elle l’humain?

Les robots sont là pour rester… et appelés à se multiplier. L’IA est quant à elle indéniablement vouée à se développer de façon exponentielle et à prendre de plus en plus de place dans nos sociétés et dans nos vies. Il est donc évident que la technologie remplace déjà et remplacera de plus en plus l’humain dans une foule de domaines.

Cela dit, robots et ingénieux algorithmes dépendent de l’intelligence humaine, de cette intelligence «naturelle» qui en écrit les programmes et définit les paramètres à l’intérieur desquels ils fonctionnent. Et ces savants joujoux sont a priori conçus pour nous faciliter la vie. Il n’y a donc pas que du mauvais dans cette invasion cybernétique. D’autant que toutes les tâches dont nous libère la technologie nous permettent de consacrer temps et énergies à autre chose…

À titre d’exemple, mes activités de langagier, d’auteur et de blogueur m’amènent à faire énormément de recherches, et l’IA m’est devenue d’un précieux secours à cet égard. Dans bien des cas, elle accélère considérablement ma recherche, et me soumet même parfois des pistes auxquelles je n’aurais pas pensé. Partout autour de nous foisonnent les exemples de rapidité, d’efficacité et de rendement accrus grâce à l’IA.

Mais de là à confier à l’IA la gestion de notre économie, de nos systèmes d’éducation et de défense, voire de nos gouvernements, il y a un énorme pas. Qui programmera les algorithmes et déterminera les balises de fonctionnement de l’IA dans ces secteurs touchant l’ensemble de l’humanité? Sur la base de quels paradigmes et idéologies? Au profit de qui et au détriment de qui? D’où les mises en garde impérieuses et alarmistes des plus grands experts en la matière, à commencer par ceux qui développent actuellement les différentes formes d’IA.

À tous les dangers que présente une intrusion incontrôlée de l’IA dans nos vies, s’ajoute celui de notre confiance plus ou moins aveugle dans ces ingénieux algorithmes, faisant de nous des esclaves consentants de leurs multiples applications. De quoi faire de nous des robots au service des robots en moins de deux!

Un choix tout ce qu’il y a de personnel

Incapable de pensée abstraite et dépourvue de sens critique, l’IA est par-dessus tout dénuée d’intelligence spirituelle, de cette intelligence profonde qui seule permet de distinguer l’âme du corps, de départager la matière de l’esprit, et de nous éclairer sur la voie à suivre pour remplir avec succès notre mission sur terre.

Déjà lourdement conditionnés par nos besoins primaires, nos désirs les plus variés et notre conception matérielle de l’existence, sommes-nous prêts à nous abandonner aux ramifications tentaculaires d’ingénieux algorithmes ultrapuissants qui n’ont rien à faire de l’amour, du bonheur et de la paix?

Chacun est libre de jouer ou non le jeu de la consommation, de se plier ou non aux exigences d’institutions de plus en plus dépersonnalisées, et de souscrire ou non à la propagande, aux valeurs et à la rectitude politique d’une magnificente technologie qui ne dispose d’aucun moyen pour distinguer le vrai du faux, et dont la programmation n’est aucunement conçue pour répondre à nos besoins les plus intimes.

Je préfère pour ma part m’efforcer de ne consommer que ce dont j’ai vraiment besoin. Je préfère également utiliser téléphone, ordinateur et ingénieux algorithmes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des outils, sans me laisser constamment distraire par toutes les sollicitations dont ils ne cessent de me bombarder, et sans croire aveuglément tout ce qu’ils veulent bien me faire croire. Je préfère enfin m’assurer d’intégrer quotidiennement méditations et bhakti-yoga à mes activités afin d’équilibrer mes énergies et mes pensées au-delà du travail et de la détente.

Je suis en effet persuadé – et je le sais d’expérience – que pour me réaliser pleinement en tant qu’humain, sur le plan aussi bien matériel que spirituel, je dois apprendre à constamment regarder au-delà des mille miroirs aux alouettes qui nous entourent.

Et vous?

Je ne suis pas un robot