Êtes-vous de ceux et celles qui croient que la spiritualité se vit dans le silence, la prière et la contemplation béate? Que l’action, le désir et la passion n’y ont pas leur place? Si oui, il est temps de revoir vos positions.

Beaucoup de gens croient que la spiritualité est incompatible avec les mille et une activités qui ponctuent le quotidien. Qu’elle consiste à calmer l’agitation des sens et du mental en cessant toute activité pour éteindre le feu roulant d’une vie trépidante. Mais c’est faux!

Beaucoup de gens croient que la jeunesse et la vie adulte sont faites pour réaliser ses rêves et jouir de la vie. Qu’ils auront tout le loisir de s’intéresser plus sérieusement à la spiritualité lorsqu’ils auront plus de temps, sans doute à la retraite. Mais ils se trompent.

La spiritualité n’est pas l’antithèse de la vie active, non plus qu’un champ d’intérêt accessoire comme la musique ou la peinture (pour ceux et celles dont ce n’est pas l’activité principale, on s’entend). La spiritualité fait partie intégrante de la vie.

Il existe bien sûr des religieuses contemplatives, des moines qui font vœu de silence et des yogis qui se coupent entièrement du monde, mais ceux-là pratiquent en quelque sorte la spiritualité comme un sport extrême. Tous les spiritualistes n’empruntent pas des voies aussi radicales. Pour tout dire, la plupart des gens vivent leur spiritualité dans le monde, en société, en famille, en communauté d’esprit, parfois même en solitaire, mais sans pour autant cesser de travailler, d’aimer et de se divertir.

Une question de conscience

Chez certains, la méprise entourant la spiritualité vient du fait que l’action étant source de karma, ils croient qu’on ne peut se libérer de l’emprise de la matière que par l’inaction. Mais ils ont tort. Il ne s’agit pas de cesser toute action, mais d’agir de façon à ne pas s’embourber dans un enchaînement de réactions matérielles.

D’autres craignent qu’en se préoccupant de leur épanouissement spirituel, ils vont devoir faire une croix sur leurs passions et cesser de jouir pleinement de la vie. Mais rien n’est plus faux. La spiritualité ne consiste pas à se couper de tout, ni à s’enlever quoi que ce soit. Vivre sa spiritualité, c’est plutôt ajouter un ingrédient clé à la recette du bonheur; c’est imprégner de conscience divine tous les aspects de sa vie.

Selon les influences matérielles qui gouvernent notre existence – influences que les Védas désignent du nom de gounas –, nous avons tous certains talents, certaines tendances naturelles et certaines passions. Personne n’y échappe. Il ne s’agit donc pas de les nier artificiellement au nom de la spiritualité. Ce serait faire fausse route. Il s’agit plutôt de les mettre à profit dans un état d’esprit approprié.

Les mécanismes de l’action

Pour agir dans une conscience divine, autrement dit en pleine conscience, il faut d’abord démonter les mécanismes de l’action. Or, ces mécanismes sont fort complexes. Et comme nous ne pouvons cesser d’agir, ne serait-ce qu’un instant, il importe de bien saisir les choix qui s’offrent à nous.

Les 3 formes d’action sous l’influence des gounas

  • L’action dans la vertu (sattva) est celle qu’on accomplit conformément à sa nature, à sa situation et à son rang, pour son bien propre et pour le bien commun, sans attachement aux résultats.
  • L’action dans la passion (rajas) est celle qu’on accomplit en multipliant les efforts pour assouvir ses désirs et ses ambitions. Elle est purement intéressée et fortement axée sur la jouissance des fruits de l’acte.
  • L’action dans l’ignorance (tamas) est celle qu’on accomplit au mépris des valeurs et des principes universellement établis, sans tenir compte des conséquences pour soi-même ou pour les autres.

Tant et aussi longtemps que nous nous identifions à notre corps, nous restons sous l’influence des gounas, et nous n’agissons que sous l’impulsion des tendances héritées de notre karma. Nous avons peut-être l’impression de gouverner notre vie, mais ce qui nous semble être des choix n’est en fait le plus souvent qu’une suite de réactions à des stimuli sensoriels, à des émotions et aux désirs les plus variés.

Il est entendu que nous devons assumer l’entière responsabilité des suites de l’action qu’on choisit d’accomplir à seule fin d’en récolter les fruits. Il est également évident que toute violation des valeurs et des principes conformes à sa nature, à sa situation et à son rang est lourde de répercussions. Or, même l’action dite dans la vertu peut être source de karma, car les influences maîtresses de la nature matérielle conjuguent le plus souvent leurs charmes en une variété de combinaisons, de sorte qu’elles se teintent facilement les unes les autres. Complexes, vous disais-je, les mécanismes de l’action!

La touche spirituelle

Pour rompre le cycle karmique et s’affranchir de toute réaction matérielle, il suffit d’ajouter la touche spirituelle à l’action sous le signe de la vertu, de manière à la purifier et à transformer la simple vertu (sattva) en «pure vertu» (shouddha-sattva), hors du champ d’influence des gounas.

Pour plus de précision, la simple vertu tient fondamentalement du respect de soi-même et de son corps, de ses semblables, des animaux et de la nature, alors que la pure vertu est empreinte d’une conscience spirituelle. La simple vertu demeure matérielle, et donc sujette à l’emprise des gounas, tandis que la pure vertu est libre de toute trace d’influence de la passion ou de l’ignorance. Elle se voit spiritualisée sous l’effet d’une conscience claire de la source et de la finalité de tout être et de toute chose. Or, pour agir dans une telle conscience, il va sans dire qu’il faut avoir connaissance du lien de toute chose avec l’Absolu et de notre relation avec le Divin. D’où l’importance de mettre son développement spirituel à l’avant-plan de ses priorités.

En s’acquittant de ses devoirs terrestres dans une conscience spirituelle tout en donnant le meilleur de soi-même, conformément à des valeurs et à des principes de vie sains, et sans attachement aux résultats, aucune responsabilité personnelle n’est engagée sur le plan karmique. On brise par le fait même le cycle action-réaction. Il nous reste certes du karma à écouler, mais au moins, le réservoir de réactions ne continue pas à s’emplir.

Sans cette conscience de son identité réelle et de son lien avec la source de tout ce qui existe, l’acte et les fruits de l’acte restent centrés sur l’ego et sur le corps, sous l’effet de ce qu’on peut appeler l’«égoïsme égocentrique». Même en tentant d’agir dans la vertu et de faire du bien autour de soi, on ne cherche bien souvent qu’à se donner bonne conscience, qu’à racheter ses fautes ou qu’à en tirer une forme de reconnaissance personnelle. On parle alors plutôt d’«égoïsme exocentrique». Dans un cas comme dans l’autre, on ne parvient à combler que des besoins strictement physiques, émotionnels et intellectuels, pour soi-même ou pour autrui, sans égard aux impératifs spirituels. Ces derniers sont pourtant les seuls à pouvoir canaliser nos désirs et nos passions de manière à maximiser l’impact de tous nos actes, aussi bien pour nous-mêmes que pour nos semblables.

Bref, il ne s’agit nullement de cesser d’agir pour spiritualiser sa vie. Il faut plutôt recadrer sa façon d’agir de manière à se libérer du carcan d’une conscience purement matérialiste, c’est-à-dire entièrement centrée sur les composantes physiques, émotionnelles et intellectuelles de l’existence. Comment? En cultivant la concentration sur le soi et sur l’énergie spirituelle que lui confère son lien avec sa source. En apprenant à voir au-delà des désignations matérielles qui voilent notre véritable identité spirituelle. Ça demande sans doute un peu d’entraînement, mais quel bonheur que d’y parvenir!

Agir ou ne pas agir, telle est la question