Photo Alex Green

Il y a sans doute plusieurs choses qu’on peut regretter au cours d’une vie. Mais savez-vous quels sont les plus grands regrets exprimés par une majorité de gens au terme de leur séjour sur terre? La liste en est étonnamment courte, et elle mérite réflexion.

Une infirmière australienne en soins palliatifs du nom de Bronnie Ware entretenait dans sa pratique des liens étroits avec ses patients. Suffisamment étroits pour leur demander, à l’approche de leur départ de ce monde: «Quel est votre plus grand regret?» Profondément touchée par les témoignages ainsi recueillis au fil des ans, et particulièrement troublée par la convergence des réponses obtenues, elle a décidé d’en faire un livre intitulé The Top Five Regrets of the Dying, paru en 2012 et publié en français l’année suivante sous le titre Les 5 regrets des personnes en fin de vie.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est que la liste des regrets les plus souvent exprimés soit aussi courte. Comme s’il y avait une sorte de consensus sur les mesures à prendre au cours de sa vie pour ne pas se retrouver dans la vaste cohorte des gens qui regrettent de ne pas les avoir prises.

La deuxième chose qui retient notre attention, c’est que les gens regrettent majoritairement non pas ce qu’ils ont fait, comme on pourrait s’y attendre, mais ce qu’ils n’ont PAS fait. Comme s’il y avait intuitivement certaines choses à faire que trop de gens ne prennent pas la peine de faire au cours de leur vie.

Dans un cas comme dans l’autre, ces constats ont par la suite été confirmés dans le cadre d’une étude psychologique réalisée en 2018 par Shai Davidai et Thomas Gilovich.

Et si l’on essayait plutôt de vivre sans regret? Il est bien sûr possible qu’une personne regrette certains gestes malheureux qu’elle a pu commettre, et qu’elle ne puisse retourner en arrière pour agir comme elle souhaiterait l’avoir fait. Mais il n’y a aucune raison pour ne pas mettre en œuvre dès maintenant ce qu’on risque de regretter amèrement de ne pas avoir fait. Car il n’y a pas de regrets plus lourds à porter que ceux auxquels on aurait sciemment pu échapper. À plus forte raison s’il s’agit de «J’aurais donc dû…» qu’on ne se pardonne pas.

Ces attentes qui paralysent

En tête de liste des regrets formulés par les gens à l’article de la mort, tous âges, genres et statuts confondus: «Je regrette de ne pas avoir eu le courage de vivre ma vie comme je l’entendais plutôt que de me plier à ce qu’on attendait de moi.»

On s’entend que tout le monde ne nous veut pas du mal. Les gens qui nous entourent et qui nous aiment nous inculquent dès le plus jeune âge les règles de vie en société, les codes moraux et les principes issus de leurs croyances et de leur propre expérience dans le but avoué de nous aider à affronter la vie.

Ont tôt fait d’alourdir ce bagage les attentes de nos institutions, de nos communautés, de nos employeurs et de nos partenaires et amis. Parfois dans notre intérêt, mais aussi parfois dans le leur! La ligne est souvent difficile à tracer, si bien que pour ne pas déplaire et pour éviter d’être jugé, la majorité des gens empruntent la voie de la conformité.

Mais comme le souligne ce regret si souvent exprimé en fin de vie, le prix de la conformité aux attentes des autres au détriment des siennes propres est très élevé. Comme l’écrit Bronnie Ware:

« La plupart des gens ne réalisent pas la moitié de leurs rêves, et ils meurent confrontés aux choix qu’ils ont accepté de faire ou qu’ils ont au contraire omis de faire… »

… alors qu’il est évidemment trop tard pour y changer quoi que ce soit. Morale de l’histoire: il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour faire le point et ajuster le cap au besoin. Tout choix important demande un effort. Mieux vaut donc axer cet effort sur ce qui compte le plus pour soi.

Le boulot avant tout

En deuxième position: «Je regrette d’avoir trop consacré de temps à mon travail.» Sous-entendu: … de ne pas avoir vu grandir mes enfants et accordé plus de temps à mon conjoint ou ma conjointe.

Qui ne connaît pas la rengaine? On l’entend pratiquement tous les jours, et pas seulement de la bouche des agonisants. Les coupables n’ont pas toujours conscience d’en faire trop, mais il n’en s’agit pas moins d’une réalité bien présente à l’esprit de tous ceux et celles qui en font les frais.

Que ce soit par ambition ou par nécessité – subsistance oblige –, il n’est pas toujours facile de se soustraire à l’appel du travail. La plupart des gens y consacrent d’ailleurs au moins le tiers de leur vie! Comme il s’agit finalement d’une sorte d’incontournable, pourquoi donc suscite-t-il autant de regrets?

Sans doute parce que beaucoup de gens en font plus qu’il n’est vraiment nécessaire d’en faire. Quelles qu’en soient les raisons – et elles sont multiples –, trop c’est trop. Pour éviter ce piège, il n’y a qu’une solution plausible: privilégier l’équilibre et la qualité de vie au-delà de la performance ou de l’asservissement à la tâche. Comme l’enseigne judicieusement la Bhagavad-gita:

« Qui garde la mesure dans le manger et le dormir comme dans le travail et la détente peut atténuer les souffrances de l’existence matérielle. »

Bhagavad-gita 6.17



Il y a des sentiments qui se perdent

La troisième ombre au tableau des mourants: «Je regrette de ne pas avoir plus exprimé mes sentiments.» Beaucoup de gens taisent en effet leurs sentiments, que ce soit par pure négligence, afin d’éviter tout conflit avec les autres ou, encore une fois, par crainte d’être jugé.

L’envers de la médaille, c’est qu’en ne partageant pas ses sentiments, on risque d’être mal compris ou interprété par les autres. Il en résulte souvent des réactions contradictoires, des confrontations injustifiées et des jugements par omission, alors que c’est précisément ce que l’on cherchait à éviter, non?

Là où cela fait encore plus mal, c’est quand on regrette de ne pas avoir ouvertement témoigné son affection à ceux qu’on aime. Ou quand on nourrit un profond ressentiment ou une indigeste amertume qui finissent par nous ronger et nous rendre malade.

Est-il vraiment nécessaire d’en arriver là? Cette forme de silence justifie-t-elle vraiment les affres du regret à l’heure de la mort? À la lumière des bienfaits que procurent la franchise et une saine ouverture de soi aux autres, je dirais que non.

… et des amis oubliés

Quatrième handicap au palmarès: «Je regrette de ne pas être resté.e en contact avec mes ami.e.s.» Pourquoi? Parce que les bons amis sont synonymes de bon temps, de partage, de complicité. On doit souvent beaucoup à ses amis: de bons conseils, une épaule secourable dans l’épreuve, de précieux encouragements dans le doute…

Négliger ses amis, c’est pour beaucoup de gens passer à côté d’un pan important de la vie. On peut aussi regretter de ne pas s’être montré suffisamment reconnaissant envers eux. Ou se reprocher de ne pas avoir été là quand ils avaient le plus besoin de nous.

Nous sommes tous pris par nos activités et nos obligations, nos problèmes et nos projets, nos distractions et quoi encore. Mais serons-nous pour autant de ceux qui, faute d’avoir entretenu leurs amitiés, ont fini par laisser filer de précieux amis au fil des années, et qui regrettent sur leur lit de mort de ne pas avoir donné à leurs amis le temps qu’ils méritaient?

Une question de priorité

Un finaliste qui pourrait à vrai dire résumer et englober les quatre premiers regrets en lice: «Je regrette de ne pas m’être autorisé.e à être plus heureux.se.» Autrement dit, si je m’étais moins plié.e aux attentes des autres au détriment des miennes; si je n’étais pas devenu.e un bourreau de travail; si j’avais pris la peine d’exprimer clairement mes sentiments lorsque ça comptait vraiment; et si j’avais accordé plus d’importance à mes amis, j’aurais sans doute été plus heureux.se.

Sans doute. Mais ce ne sont là, vous en conviendrez, que quelques-uns des facteurs susceptibles de contribuer à notre bonheur. S’autoriser à être plus heureux veux donc dire plus que cela. Par exemple, prendre plus de temps pour soi. Réaliser le projet dont on a toujours rêvé plutôt que de le repousser sans cesse. Ou lutter pour une cause qui nous tient vraiment à cœur.

Tant de choses peuvent contribuer au bonheur. Mais encore faut-il distinguer les bonheurs fugaces que nous promettent toutes ces avenues du bonheur total et permanent – éternel – auquel nous aspirons tous. Le bonheur matériel, c’est bien, mais ça ne dure qu’un temps. On ne peut pas l’emporter avec soi dans sa tombe. Et même lorsqu’on y a bien goûté, on ne peut que rester sur l’impression qu’on aurait pu être encore plus heureux. D’où ce cinquième regret sur la courte liste de ceux qu’expriment les gens en fin de vie.

Pour vivre – et mourir – sans regret, il importe donc de franchir un pas de plus. Et ce pas consiste à élargir notre perspective globale sur la vie. À relier toutes nos aspirations et tous nos choix à la quête de la pleine réalisation de soi, en pleine conscience de sa nature fondamentalement spirituelle et de son lien éternel avec l’Absolu.

En gardant cette considération à l’esprit, c’est tout naturellement qu’on vivra comme on l’entend plutôt qu’à la merci des attentes d’autrui; qu’on privilégiera un sain équilibre travail-famille; qu’on prendra soin d’exprimer ses sentiments à ceux qu’on aime… et aux autres aussi; et qu’on prendra soin de ses amis. Bref, en ajoutant la dimension spirituelle à son existence, on maximise nettement ses chances de vivre et mourir sans regret.

Vivre sans regret