A. C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada
au lancement de La Bhagavad-gita telle qu’elle est (Paris, 1975)


Vous avez peut-être remarqué qu’entre autres textes védiques, je cite souvent la Bhagavad-gita. Si j’y réfère aussi spontanément, c’est que cet ouvrage de référence à la portée de tous expose non seulement les fondements de la spiritualité, mais aussi les clés d’une compréhension multidimensionnelle des êtres et de l’univers dans lequel nous vivons.

Il existe de nombreuses traductions de la Bhagavad-gita. Cependant, elles sont généralement l’œuvre d’universitaires qui abordent et interprètent le texte selon leurs propres références socioculturelles et académiques. Plusieurs autres écrits anciens issus de différentes traditions ont également souffert de ce phénomène aux mains d’érudits non initiés à la teneur des enseignements contenus dans les textes qu’ils traduisaient.

C’est pourquoi Bhaktivedanta Swami, grand maître des temps modernes dans la lignée de l’auteur même de l’ouvrage, a entrepris d’en donner une traduction anglaise en tous points conforme à l’esprit du texte. C’est donc plus précisément cette traduction que je cite, dont la version française – à laquelle j’ai personnellement collaboré – a pour titre La Bhagavad-gita telle qu’elle est.

Un contexte d’enseignement inusité

Rappelons que les 700 versets de la Bhagavad-gita (litt. «Le chant du Bienheureux») constituent le compte-rendu d’un échange entre le prince Arjuna et le divin Krishna. La scène se déroule entre deux armées – au vu et au su de tous – tout juste avant l’historique bataille de Kouroukshétra, vers 3067 avant notre ère.

L’affrontement est inévitable. Tous les pourparlers ont échoué. Toutes les tentatives de compromis sont restées vaines. Trop de torts et d’injustices demandent à être redressés. Néanmoins, l’homme de valeur et de principe qu’est Arjuna n’arrive toujours pas à se résigner au combat. C’est alors que le Bienheureux entreprend d’aiguiser son jugement en lui exposant les enjeux d’une existence fondée sur l’entendement des différentes facettes de la réalité.

Une question de perspective

Aussi surprenant que cela puisse nous sembler de prime abord, les Védas présentent la spiritualité comme une science à part entière. Pour peu qu’on prenne la peine de se pencher sérieusement sur la question, on a d’ailleurs tôt fait de constater que cette prémisse n’est pas aussi farfelue qu’elle peut en avoir l’air. Et la Bhagavad-gita s’en veut une démonstration éloquente.

Certains associent la spiritualité à l’ésotérisme, au paranormal ou à une quelconque forme de mysticisme désincarné. D’autres à un chapelet de croyances pour âmes crédules en mal de sainteté. Mais bien que ce mot sonne souvent comme «pensée magique» aux oreilles des partisans d’une saine rationalité, la spiritualité se vit et se développe selon des codes rigoureusement définis.

Une science parmi d’autres

Comme toute autre science, la spiritualité repose sur des méthodes éprouvées qui donnent des résultats quantifiables, vérifiables et reproductibles. Rien n’y est laissé au hasard. Tout y conduit à l’expérience de sensations, d’émotions et de réalisations d’un ordre supérieur, au-delà des sens et du mental.

Les principaux jalons de cette science correspondent aux cinq grands thèmes développés dans la Bhagavad-gita:

  • l’Âme universelle (ishvara)
  • l’âme individuelle (jiva)
  • la nature matérielle (prakriti)
  • le temps (kala)
  • l’action (karma)

La spiritualité a pour objet la connaissance et la pleine conscience du soi et de l’Absolu. D’où les deux premiers thèmes mis de l’avant.

La notion d’ishvara fait référence aux trois aspects de l’Absolu, soit le Brahman omniprésent, le Paramatma omniscient et l’omnipotent Bhagavan.

L’Âme universelle et l’âme individuelle sont toutes deux de nature spirituelle. Elles se distinguent cependant par le fait que la première est infinie alors que la seconde est infinitésimale.

La nature matérielle et les éléments qui la composent sont l’expression de l’énergie inférieure de l’Absolu, dont ils demeurent à jamais séparés, alors que le jiva appartient à son énergie supérieure et lui reste à jamais relié.

Le temps marque les cycles de création, de maintien et de destruction de l’univers matériel, qui tel un nuage dans le ciel, n’occupe qu’une fraction des hautes sphères. Il est néanmoins tenu pour éternel, au même titre que l’ishvara, le jiva et la prakriti, dans la mesure où ces cycles se perpétuent sans fin.

Le seul volet impermanent du lot est le karma, soit l’action en soi et les conséquences qui en découlent. Ses racines peuvent plonger très loin et très profondément dans le passé, mais la chaîne des réactions subséquentes peut être rompue par des pratiques appropriées. Il n’est donc pas éternel.

Une mine d’or inépuisable

Les pratiques inhérentes à la réalisation spirituelle sont regroupées en yogas, dont les différentes formes et la gradation sont également traitées dans la Bhagavad-gita. Et comme la spiritualité se vit au départ dans la sphère matérielle, Krishna contextualise son enseignement à Arjuna en faisant le point sur diverses notions utiles à la compréhension des tenants et des aboutissants d’une existence accomplie.

Il aborde entre autres la question de l’alimentation et du sommeil, la gestion des désirs et des émotions, les différentes sources de souffrance et les moyens d’y remédier, l’importance de l’éducation et de la transmission du savoir, les divisions naturelles de la société, la transmigration de l’âme, et plus encore. Ce qui a amené plusieurs commentateurs à qualifier la Bhagavad-gita de «manuel d’instruction pour l’humanité».

Tous ces sujets sont ultérieurement développés avec force détails dans les Puranas et les Upanishads, mais les trésors de sagesse condensés dans la Bhagavad-gita sont si riches qu’on y découvre sans cesse de nouvelles facettes. De fait, la portée s’en révèle de plus en plus au spiritualiste au gré de ses réalisations.

• • •

À ceux et celles qui souhaitent se familiariser avec le contenu du grand classique de la littérature védique qu’est la Bhagavad-gita avant d’en entreprendre une étude plus poussée, je me permets de suggérer de lire Un dialogue sans âge, fruit de plusieurs décennies de recherches, d’études et de pratique.

Un trésor de sagesse