Homme ou dieu? Personnage historique ou figure mythologique? À moins qu’il s’agisse d’un avatar? «A-t-il seulement existé pour vrai?» m’a-t-on récemment demandé.
Si vous avez suivi la série sur le Mahabharata, vous savez que Krishna est très présent dans l’histoire des Pandavas. Si vous avez lu la Bhagavad-gita, vous savez que Krishna y dispense son enseignement à son ami et disciple Arjuna. Et si vous pratiquez le bhakti-yoga, vous connaissez naturellement le mantra Hare Krishna. Mais dans tous les cas, il y a fort à parier que vous vous êtes un jour ou l’autre interrogé sur l’identité réelle de cette illustre personnalité.
D’entrée de jeu, les Védas nous aident à y voir plus clair en nous rappelant que philosophes et spiritualistes perçoivent, approchent et réalisent la Vérité absolue sous trois angles: celui de son aspect impersonnel et omniprésent (Brahman), celui de son aspect localisé et omniscient (Paramatma), ou celui de son aspect personnel et omnipotent (Bhagavan).
Pour plus de détails à ce sujet, voir La triade divine.
L’Absolu dans sa forme personnelle se distingue par le fait qu’il est infiniment beau, infiniment puissant, infiniment riche, infiniment glorieux, infiniment sage et infiniment libre et maître de sa personne. Tous les êtres vivants aspirent à ces traits d’excellence et les possèdent à un degré ou à un autre, mais la manifestation personnelle de l’Absolu les possède tous dans leur forme la plus complète et la plus parfaite, ce qui en fait l’Être suprême et ce qui lui vaut à juste titre le qualificatif d’«infiniment fascinant», c’est-à-dire kṛṣṇa en sanskrit. Ainsi l’Être suprême, qu’on désigne par une infinité de noms dans diverses traditions, est-il aussi appelé Krishna.
Au-delà des dieux et des avatars
La suprématie de l’Absolu fait en sorte que tous les « dieux », ou dévas, lui sont subordonnés et demeurent entièrement à son service. Les Védas expliquent que l’appellation «dévas» s’applique aux puissantes personnalités investies de pouvoir pour assurer les différents aspects de la gestion et de l’administration des affaires de l’univers. Les dévas se comparent en cela aux ministres responsables des multiples secteurs d’activité au sein d’un État. Certains leur donnent le nom de «dieux» ou «demi-dieux», mais il ne s’agit pas de divinités comme telles. En dépit de leur longévité et de leurs pouvoirs exceptionnels, tous sont en effet mortels.
Krishna n’est donc pas un déva, mais bien à proprement parler le Seigneur des seigneurs, puisque tous les dévas s’acquittent de leur charge sous sa gouverne. Il est en cela comparable au chef d’État à la tête des ministères et des divers ordres de gouvernement conçus pour assurer le bon fonctionnement de la société.
Krishna n’est pas non plus un de ces dieux légendaires, fantaisistes ou symboliques dont se nourrissent les mythologies de multiples cultures. D’autant que la notion même de Dieu ou d’Absolu – d’Être suprême – n’admet aucune multiplicité d’identités. L’Absolu dans sa forme personnelle revêt une infinité de noms, mais il n’en demeure pas moins Un, et Krishna désigne cet Absolu unique et indivisible comme « l’Infiniment fascinant ».
Krishna n’est pas même un avatar, comme Bouddha ou Jésus, pour ne nommer que ces deux exemples bien connus d’agents divins qui apparaissent en ce monde au fil des âges pour corriger les dérèglements de l’ordre universel et pour œuvrer au rétablissement des principes de la spiritualité. La position suprême de Krishna l’établit plutôt comme avatārī, soit la source, l’origine de tous les avatars. Ce que confirme le Shrimad-Bhagavatam, où il est expliqué que tous les avatars décrits dans les Védas sont des émanations plénières ou des émanations d’émanations plénières du Seigneur des seigneurs, alors que Krishna, l’Infiniment fascinant, n’est autre que Bhagavan en personne, l’Être suprême duquel procèdent tous les avatars (kṛṣṇas tu bhagavān svayam).
Entre deux mondes
Cela dit, l’Être suprême en personne descend aussi périodiquement en ce monde dans sa forme originelle pour y donner son enseignement et pour y dévoiler ses divertissements éternels. Comme il l’a fait sur Terre il y a 5000 ans. Entre autres textes, le Bhagavat Purana consacre d’ailleurs à lui seul 90 chapitres entiers à divers épisodes du séjour de Krishna parmi les humains, à commencer par son enfance dans un village pastoral du nord de l’Inde. De son côté, le Mahabharata reprend plus en détail sa vie adulte en tant que roi et sa participation à la célèbre bataille de Kouroukshétra, à la veille de laquelle il a énoncé la Bhagavad-gita au profit des générations à venir.
On comprend ainsi que tout en incarnant l’Être suprême, de nature purement transcendantale et régnant de tout temps et à jamais sur le plan spirituel, Krishna joue aussi le rôle d’un personnage historique à différentes époques, que ce soit dans sa forme originelle ou dans celle d’un de ses multiples avatars.
Les plus récentes recherches ont notamment permis d’établir que Krishna avait pris forme humaine à Mathura en 3228 av. J.‑C. pour aussitôt être confié aux soins de parents adoptifs à Vrindavan afin d’échapper à la cruauté du monarque d’alors. Qu’il était retourné à Mathura en 3218 av. J.‑C., et qu’en 3200 av. J.‑C., il était parti pour Dvaraka, où il avait régné en roi. Qu’il avait énoncé la Bhagavad-gita sur le champ de bataille de Kouroukshétra en 3138 av. J.‑C. Et qu’il avait quitté ce monde en 3102 av. J.‑C., peu avant que ne débute l’âge de Kali, l’âge de fer védique dans lequel nous nous trouvons maintenant.
L’empreinte historique
Les recherches à l’origine de cette datation relèvent de plusieurs champs d’étude.
Des archéologues ont découvert, dans le cadre d’expéditions sous-marines au large des côtes occidentales du sous-continent indien, les ruines submergées de l’antique cité de Dvaraka, la capitale du royaume de Krishna décrite dans les Védas. Sceaux et pièces de monnaie portant diverses inscriptions en lien avec Krishna ont ainsi fourni de précieuses données aux chercheurs.
Sur le plan archéoastronomique, les Védas font en outre état de diverses configurations planétaires et astrales en lien avec certains jalons du passage de Krishna sur Terre, et de puissants ordinateurs équipés de logiciels spécialisés ont récemment permis de dater ces événements célestes observés à l’œil nu il y a de cela des milliers d’années.
On constate par ailleurs que des ouvrages complètement étrangers au Védas font état de l’existence historique de Krishna, parmi lesquels le Sutta Pitaka et le Lalitavistara Sutra de la tradition bouddhiste.
En conclusion, ce qu’il convient de retenir, c’est que Krishna – le jeune pâtre de Vrindavan, le roi de Dvaraka et l’auteur de la Bhagavad-gita – a bel et bien foulé le sol de notre planète il y a 5000 ans. Mais c’est aussi que le personnage historique n’est qu’une manifestation ponctuelle visible à nos yeux de l’Infiniment fascinant, du Seigneur des seigneurs, de l’Être suprême qui a nom Krishna de même qu’une infinité d’autres noms, tant dans les Védas que dans les cultures et traditions les plus variées.
Maintenant que vous le situez un peu mieux, je ne serais pas étonné que vous cherchiez à approfondir son enseignement et à découvrir d’autres pans de sa personnalité. N’hésitez pas à me faire part de vos découvertes et de vos réalisations.