

Quoi de plus rassurant que de se dire que tout va bien aller? Mais est-ce bien suffisant pour que tout aille vraiment bien? Pourquoi pas, nous disent les gourous de la pensée positive? Il suffit d’y croire et de le vouloir assez fort.
L’attitude mentale positive est un concept introduit pour la première fois en 1937 par Napoleon Hill dans le livre Think and Grow Rich, tour à tour traduit, au fil des ans, par Pensez et devenez riche ou Réfléchissez et devenez riche. Son livre n’utilise jamais directement le terme «pensée positive», mais il traite indéniablement de l’importance d’une telle posture mentale en tant que facteur de réussite.
Quinze ans plus tard, le pasteur protestant Norman Vincent Peale en fait son fer de lance et inaugure officiellement le mouvement de la pensée positive tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il n’a depuis cessé de faire des adeptes dans toutes les couches de la société, et s’est imposé comme un incontournable du développement personnel.
La pensée positive repose fondamentalement sur l’autosuggestion, en se répétant des phrases telles que «Je vais atteindre mes objectifs», «J’ai tout ce qu’il faut pour réussir» ou «Je suis seul maître de ma destinée», et sur la ferme conviction de la véracité de ces affirmations. De là à s’imaginer qu’on peut influencer le destin, il n’y a qu’un pas, un pas qui a tôt fait de nous faire basculer dans la pensée magique.
À l’impossible, nul n’est tenu
Une saine dose d’optimisme permet certes d’aborder la vie de façon plus joyeuse qu’une mentalité pessimiste, défaitiste ou fataliste. Mais la pensée positive va plus loin, en faisant du libre arbitre un levier censé nous donner le contrôle de notre existence. Et c’est là qu’il convient de nuancer.
Dans les faits, nous avons le contrôle de nos choix et des moyens que nous mettons en œuvre pour parvenir à nos fins, mais nous n’avons aucun contrôle sur l’issue finale de nos actions. Croire qu’on peut obtenir quelque chose en le voulant plus que tout et en faisant tous les efforts possibles pour y parvenir relève de la plus pure fantasmagorie.
Pourquoi? Parce que nous ne sommes pas Dieu. Parce que nous n’avons aucun pouvoir sur les éléments et les lois de la nature. Parce que nous ne pouvons rien contre les impondérables et les antagonistes qui viennent foutre le bordel dans nos plans. Parce que notre destinée est irrémédiablement façonnée par notre karma, soit les conséquences de nos actes passés; et que, bien que nos actes présents vont assurément avoir un impact sur notre avenir, ce ne sera pas nécessairement de la façon dont nous l’imaginons ni au moment que nous croyons. Peut-être pas même dans cette vie!
Bref, nos pensées ne peuvent en soi nous permettre d’obtenir tout ce que nous voulons. Nos actes mêmes ne suffisent pas à garantir que nous atteindrons nos objectifs. C’est là un fait implacable, une réalité que rien ni personne ne saurait renverser.
Même le plus accompli des spiritualistes sait fort bien que même en faisant tout comme il se doit pour se réaliser pleinement, seule la grâce divine peut lui donner d’atteindre l’objet de sa quête, car l’Absolu demeure à jamais libre de ne se révéler qu’à qui a su s’attirer ses faveurs par l’amour dont il imprègne ses actes.
Le réalisme a bien meilleur goût
Cela dit, nos pensées comptent, tout comme le moindre de nos actes compte. La Bhagavad-gita n’enseigne-t-elle pas que ce sont les pensées, les souvenirs et les désirs de l’être à l’heure de la mort qui déterminent sa condition future? Quant à nos actes, nous savons fort bien d’expérience qu’ils produisent parfois l’effet escompté, et parfois pas, que nous le voulions ou non.
Il serait donc vain de me leurrer en m’imaginant que j’ai le pouvoir absolu de faire arriver ce que je veux qu’il arrive, pourvu que mon désir soit suffisamment fort et que j’arrive à me convaincre que cela va réellement arriver. Cette forme de pensée positive on ne peut plus fallacieuse relève en vérité de l’utopie pure et simple, et ne peut avoir pour effet que de nous faire perdre temps et énergie.
Selon les Védas, la vraie pensée positive est celle qui pousse à agir positivement pour atteindre la perfection de la vie humaine et le but ultime de l’existence, qui consiste à réaliser que l’âme que je suis est distincte du corps que j’habite, que l’Être suprême est à la fois la source, l’unique propriétaire et le réel bénéficiaire de tout ce qui existe, et qu’une relation éternelle m’unit à lui en tant qu’émanation infinitésimale de sa personne.
Si vous avez encore un doute sur la validité de la pensée positive telle qu’on nous la présente, rappelez-vous simplement que, quoi que vous pensiez et fassiez, vous allez tout de même être en proie à la maladie, à la vieillesse et à la mort. Et que tout le temps que vous pourriez passer à vous faire croire que vous avez le pouvoir de faire des miracles serait cent fois mieux dépensé en cherchant à saisir le sens profond de votre existence, à raviver votre essence spirituelle et à renouer avec sa source.
Le réalisme a bien meilleur goût que l’optimisme trompeur et que le pessimisme dévastateur.