Œuvre de Jean Lurçat d’après le poème Liberté de Paul Éluard.
Tapisserie tissée par les ateliers Goubely à Aubusson.


On m’a récemment invité à prendre connaissance d’une vidéo du coach en développement personnel Mika Denissot, que je ne connaissais pas, mais dont la chaîne YouTube compte près de 100 000 abonnés! Dans cette capsule d’une dizaine de minutes, il nous exhorte à repenser nos attentes face à l’année 2021 ainsi que notre conception de la liberté et de la mort.

Le personnage est charismatique, et son discours est à la fois séduisant, intelligent et habilement mené. Il s’inspire d’idées fortes aussi bien en psychologie qu’en philosophie et en spiritualité pour nous inciter à questionner nos peurs et le sens de la vie en général. La sacro-sainte liberté convoitée de tous trône au cœur de son propos, et trouve tout particulièrement écho à nos oreilles en ces temps de confinement et de restrictions contraignantes.

Une sagesse éprouvée

Comment ne pas être d’accord avec monsieur Denissot lorsqu’il dit que nous devrions songer à modifier nos modes de vie plutôt que de rêver bêtement de retrouver un comme-avant, ou un semblant de comme-avant (de COVID-19, s’entend)?

«Ça veut dire quoi, comme avant? Se lever, aller travailler, gagner de l’argent, le dépenser, dormir et recommencer (couvre-feu et distanciation en moins)? Est-ce vraiment cela, la vie?»

Comment ne pas être d’accord avec lui lorsqu’il dit que nous devons «libérer la force créatrice, la force de bonté, de compassion et d’amour qui se trouve en nous»?

Que nous devons nous demander «en quoi nous mettons notre foi»?

Ou que nous devons «mourir à nous-même pour trouver notre liberté plutôt que de vivre une vie d’illusion et d’esclavage moderne»?

Autant de sains rappels universels qu’on n’entendra jamais assez.

Dérapage artistique

Là où tout esprit éveillé et informé sursaute, c’est lorsque Mika enrobe toutes ces pensées d’affirmations subtilement douteuses ou franchement subversives, manifestement à l’appui de ses propres convictions qui, elles, n’ont rien d’universel.

Au premier chef, la liberté. Selon lui, être libre, c’est «être libre du contrôle des États… être libre d’agir sans crainte de représailles. La liberté, c’est tout sauf l’ordre. C’est tout sauf les règles.»

Dois-je vraiment croire qu’être libre, c’est faire absolument tout ce qui me plaît sans autres contraintes que mes propres limites? Même les enfants comprennent très tôt que leurs paroles et leurs gestes ont des conséquences qui limitent tout naturellement leurs ébats. Non seulement parce qu’il est convenu de respecter certaines règles, mais surtout parce que d’autres personnes autour de nous cherchent également à exercer leur liberté. D’où l’utilité d’une organisation sociale et de balises fondées sur le sens commun, propres à maintenir un ordre fondamental et une saine convivialité.

«Quand vous obéissez à un système, nous dit Denissot, ça veut dire que vous vivez le rêve d’autres personnes. De ceux qui ont conçu le système dans lequel vous vivez.»

Dois-je comprendre qu’on ne doit obéir qu’à soi-même? Qu’on doit bannir tout système autre que le sien propre? Ne s’agit-il pas plutôt de choisir le système dans lequel on veut vivre? Car, soyons honnêtes: vivre en société, c’est obligatoirement se doter de conventions qu’on s’engage à respecter. Même les communautés marginales les plus libérales ont des règles bien définies dont le non-respect entraîne une expulsion.

Systémite aiguë

Le rejet d’un système entraîne invariablement son remplacement par un autre, car à moins d’être un ermite au fond d’une grotte, personne ne vit en vase clos. Et dans un cas comme dans l’autre, chacun cherche à exprimer sa liberté selon ses propres croyances, qui n’en demeurent pas moins restrictives que celles des adeptes d’un autre système.

Si je vilipende à hauts cris le système et ses institutions, son gouvernement, ses industries et ses têtes pensantes, tout en continuant à profiter allègrement de ses services, de sa technologie, de ses routes, de son électricité, de sa médecine et de tous les autres avantages d’une société organisée, je ne suis qu’un hypocrite.

Cette société est-elle parfaite? Bien sûr que non. Le système n’a-t-il pas d’importantes failles? Tout à fait. Mais est-ce en le criant amèrement sur les toits que les choses s’arrangeront? Certainement pas. Si je veux que les choses changent, je n’ai qu’à m’impliquer dans le changement, à la mesure de mes aspirations et de mes capacités.

Si je ne veux rien faire pour améliorer la situation et que je continue à imputer tous les torts à l’OMS, au gouvernement, aux méchantes compagnies qui veulent m’exploiter, aux grands patrons et à je ne sais qui d’autre, je ne suis qu’une victime consentante.

Si je suis vraiment contre le système et tout ce qu’il représente, je n’ai qu’à en sortir! À me retirer bien loin à la campagne, à cultiver la terre, à élever des vaches, à construire ma maison avec les moyens du bord, et à ne plus me déplacer qu’à pied ou à cheval. Finis les complots et les conspirations. Finies les publicités et les mauvaises nouvelles en boucle à la radio, à la télévision, dans les journaux et en ligne. Finie l’emprise des politiciens, des conglomérats et des entreprises commerciales sur tous les aspects de mon quotidien. La paix!

Paix, amour et liberté

La paix? Sans doute. La liberté? Ô que non! Car l’ennemi ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Le plus grand obstacle à ma liberté, c’est moi-même. C’est mon attachement à mon confort et à tous les petits et grands plaisirs de la vie. C’est ma conception purement matérielle et limitative de la liberté.

«Le mental peut aussi bien être l’ami que l’ennemi de l’âme conditionnée. Pour qui l’a maîtrisé, le mental est le meilleur ami. Mais pour qui y a échoué, il reste le pire ennemi. L’homme doit s’en servir pour se libérer, non pour se dégrader.»

Bhagavad-gita 6.5

La seule liberté dont nous disposons entièrement est celle de nos choix. Je peux ainsi choisir de chercher sans relâche à satisfaire mes moindres désirs et à pester contre tout ce qui m’en empêche. Mais je peux aussi apprendre à maîtriser mon mental pour ne plus donner prise aux impudents qui piétinent mes caprices ou aux Big Brothers qui cherchent à m’emprisonner dans leurs filets.

«Si nous obéissons à l’OMS, au gouvernement et aux forces de l’ordre, reprend Mika, c’est parce que nous avons peur de la mort.»

Son raisonnement? Plus rien ni personne n’a d’emprise sur quelqu’un qui vit chaque instant comme si c’était son dernier. Plus rien… sauf son mental et ses sens, oublie-t-il d’ajouter. Peur de la mort ou pas, s’il ne me reste qu’un jour à vivre, vais-je être en proie à mes désirs inassouvis et aux regrets de mes errements, ou au contraire en paix avec moi-même? Il ne s’agit pas de braver la mort pour défier le système et toute forme d’autorité, mais bien d’affronter la peur d’avoir vécu sans avoir tout mis en œuvre pour se réaliser pleinement – pour «libérer la force créatrice, la force de bonté, de compassion et d’amour qui se trouve en nous».

La mort dans l’âme

Somme toute, les belles pensées philosophiques et spirituelles du coach et formateur en développement personnel sont nobles, mais en les saupoudrant d’idéologies matérialistes et doctrinaires, il les dénature considérablement.

Oui, «l’âme se meurt», mais ce n’est pas la faute du système, ni de quoi ou de qui que ce soit d’autre. Elle meurt de sa propre vision nombriliste du monde et de la vie. À moi de la libérer, de la nourrir et de la choyer, cette âme assoiffée de vérité et d’amour. Et ce n’est pas en me révoltant contre la société que j’y arriverai.

Oui, «faites le silence et entrez en vous-même», mais pas pour ruminer votre haine envers le système. Songez plutôt à vous libérer de l’esclavage de votre propre conditionnement. Mourir à soi-même, c’est mourir à sa conception purement matérielle, physique et mentale de l’existence. Faites taire ces pensées qui vous détournent de la liberté et du bonheur profonds et durables que vous recherchez si ardemment.

Demandez-vous chaque jour ce que vous attendez plus que tout de la vie. Ce qui compte le plus pour vous. Ce que vous avez à faire de plus important. Et faites-le! Ne blâmez pas Pierre, Jean, Jacques de ne pas être à la hauteur de vos propres attentes.

Mourir à ses illusions, oui. Mourir à la vie, non.

Pour visionner la capsule de Mika Denissot, cliquez ici.

Libre à en mourir