Le sanskrit distingue le savoir théorique (gyana) du savoir pleinement réalisé, ou appliqué (vigyana), et le récit qui suit illustre bien la différence entre les deux.

Au début du 20e siècle, Bhaktisiddhanta Sarasvati, un éminent maître spirituel tenu pour l’un des plus brillants érudits de son époque, galvanisait les foules par la pertinence et la profondeur de ses exposés philosophiques.

Vers 1930, il fut approché par le nationaliste Subhas Chandra Bose, dont l’opposition à l’autorité britannique en Inde allait faire un héros, bien que ses alliances avec l’Allemagne nazi et le Japon impérial au cours de la Seconde Guerre mondiale ait terni son image.

Subhas Chandra Bose (1897-1945)

Subhas Chandra Bose: Vous n’êtes sans doute pas sans savoir que je suis fermement déterminé à libérer notre mère patrie du colonialisme britannique. J’ai adressé à l’ensemble du pays le slogan «Donnez-moi votre sang, et je vous donnerai la liberté.» Si je viens vous voir aujourd’hui, c’est pour faire appel à votre soutien. Vous êtes un influent maître que beaucoup de gens tiennent en haute estime, et de nombreux jeunes gens cherchent refuge auprès de vous. J’aimerais donc que vous les invitiez à se joindre à mes troupes et à prendre part à notre lutte pour l’indépendance.

Bhaktisiddhanta Saraswati: Avez-vous lu la Bhagavad-gita?

Subhas Chandra Bose: Oui, je l’ai lue.

Bhaktisiddhanta Saraswati: Vous souvenez-vous du verset où Krishna dit:

«Ce sont les pensées, les souvenirs de l’être à l’instant de quitter le corps qui déterminent sa condition future.»

Bhagavad-gita 8.6

Subhas Chandra Bose: Oui, je m’en souviens très bien. C’est un enseignement important.

Bhaktisiddhanta Saraswati: Vous croyez donc en la réincarnation?

Subhas Chandra Bose: Parfaitement, comme tout homme sensé.

Bhaktisiddhanta Sarasvati (1874-1937)

Bhaktisiddhanta Saraswati: Laissez-moi donc vous poser une question. Supposons que vous mourriez aujourd’hui et que vous repreniez naissance en Angleterre. Continueriez-vous à vous battre pour l’indépendance de l’Inde, ou chercheriez-vous plutôt à défendre les intérêts de votre pays en faisant tout pour préserver la domination de l’Inde par l’Angleterre?

Subhas Chandra Bose: Je comprends votre logique, mais j’estime que dans les circonstances actuelles, nous devons plutôt nous soucier de l’indépendance de notre nation.

Bhaktisiddhanta Saraswati: Vos préoccupations tiennent à des considérations d’ordre purement temporel et matériel. L’indépendance de la nation est un concept transitoire et subjectif, et vous n’adhérez à ce concept que parce que vous croyez que nous sommes Indiens. Mais cette désignation de nationalité est elle-même matérielle et temporaire. Vous pourriez très bien être Indien aujourd’hui et Anglais demain.

Mes préoccupations portent sur l’humanité entière, sur la façon de rendre les humains indépendants des illusions qui les retiennent prisonniers de la matière. Non seulement les humains, mais tous les êtres vivants. Comment les affranchir du cycle des morts et des renaissances? Telles sont les pensées qui occupent mon esprit et que je partage avec les gens qui daignent prêter l’oreille à mon discours.

Subhas Chandra Bose: Je n’ai jamais entendu une explication aussi éloquente du phénomène par lequel notre attachement à notre corps transitoire et aux désignations matérielles qui s’y rattachent est au fondement même de la réincarnation telle que l’explique la Bhagavad-gita. Cela dit, j’espère seulement que vos enseignements au vaste auditoire qui est le vôtre n’affaibliront pas les efforts de notre mouvement pour l’indépendance de l’Inde.

Échange rapporté par Swami B.B. Bodhayan dans The Mission.

La lettre et l’esprit de la lettre