Shri Vishnou

Suite de la série «La reine des Upanishads».

Voir le volet précédent.

sa paryagātch tchoukram akāyam avraṇam
asnāviram shouddham apāpa-viddham

kavir manīshī paribhouḥ svayambhour
yāthātathyato ‘rthān vyadadhātch tchāshvatībhyaḥ samābhyaḥ

«Une telle personne doit véritablement connaître
le plus grand de tous les êtres,
le Tout-puissant qui se suffit à lui-même,
le Philosophe qui sait tout, le Sans-reproche,
parfaitement pur et à l’abri de toute souillure.
Il ne s’incarne pas dans un corps matériel,
et aucune veine ne parcourt son corps.
C’est lui, l’Être suprême, qui satisfait depuis toujours
les désirs de tous les autres êtres.»


Ce mantra apporte de nouvelles précisions sur la nature transcendantale de l’Être suprême, et plus particulièrement sur sa forme personnelle. Car, encore une fois, il possède bel et bien une forme, sauf qu’elle diffère de celles dont nous avons l’habitude en ce monde.

La nature matérielle enveloppe les êtres d’un corps qui fonctionne comme une machine, avec un cœur, des poumons, des nerfs et des veines. Mais ce mantra établit qu’aucune veine ne parcourt le corps du Seigneur des seigneurs. S’il ne s’incarne pas dans un corps matériel, c’est qu’il n’existe aucune différence entre son corps et son âme; il n’est pas forcé comme nous de revêtir un corps sous l’influence des lois de la nature. Contrairement aux âmes emprisonnées par la matière, dont le corps se compose d’éléments grossiers et subtils qui n’ont rien à voir avec leur nature spirituelle, le corps, l’esprit et l’âme du Suprême ne sont qu’une seule et même chose.

La Brahma-samhita contient un verset similaire à ce mantra, expliquant que la forme du Tout-puissant incarne l’existence éternelle, la connaissance infuse et le parfait bonheur. Bref, son corps diffère nettement du nôtre – tous les textes védiques le confirment. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on dit parfois que Dieu n’a pas de forme, pour insister sur le fait qu’il n’a pas de corps matériel, et que sa forme absolue n’est pas visible à nos yeux conditionnés par une conception relative de la réalité.

La Brahma-samhita explique également que chacune des parties du corps de l’Être suprême peut remplir les fonctions de toutes les autres. Cela veut dire qu’il peut voir avec ses mains ou avec ses pieds, et qu’il peut manger avec ses yeux. Ses bras et ses jambes peuvent aussi bien lui servir à accepter nos offrandes qu’à se déplacer plus rapidement que n’importe qui. C’est pourquoi ce mantra de l’Isha Upanishad utilise des mots comme «Tout-puissant» pour décrire l’Être suprême.

De besoins et de désirs

Nous pouvons comprendre sans mal que le Tout-puissant pourvoit aux besoins de tous les êtres par l’entremise de la nature matérielle et des multiples ressources qu’elle met à leur disposition. Ce qui n’est peut-être pas aussi évident à nos yeux, c’est que, comme l’affirme ce mantra, c’est également lui qui, de tout temps, nous permet de combler nos désirs.

À titre d’exemple, si une personne désire devenir juge, elle doit non seulement acquérir les connaissances et les compétences nécessaires, mais aussi obtenir l’appui des autorités concernées. Car il ne suffit pas d’avoir reçu une formation appropriée pour accéder au rang de magistrat; il faut également obtenir la bénédiction des autorités en place. Eh bien, c’est selon le même principe que l’Être suprême satisfait les désirs de chaque être. Notre volonté, nos efforts et nos mérites, mesurés à l’aune de notre karma, sont d’abord tout naturellement pris en compte. Mais ils ne suffisent pas à assurer la satisfaction de nos désirs; nous devons aussi obtenir la grâce du Suprême, présent en chacun de nous.

Une personne sous l’influence de l’énergie matérielle fait constamment toutes sortes de plans pour améliorer sa situation en ce monde, ignorant qu’aucune solution n’est jamais permanente ici-bas. Mais le Tout-puissant ne lui met aucun bâton dans les roues. Dans son infinie bonté, il la laisse exercer son libre arbitre comme bon lui semble, que ce soit pour courir sans fin après les mêmes plaisirs fugaces, pour sombrer dans la dépravation ou pour s’élever jusqu’aux plus hautes sphères de la sagesse.

Une question d’intelligence

L’intelligence matérielle est à la fois distraite et dispersée, si bien qu’elle succombe facilement à l’attrait des myriades de facettes éphémères de l’énergie matérielle et qu’elle en oublie le vrai but de l’existence. L’intelligence spirituelle est au contraire concentrée et fermement fixée sur la quête du lien qui relie tout être et toute chose à l’Absolu. Les désirs de satisfaction sensorielle, émotionnelle et intellectuelle se voient alors remplacés par le désir de s’affranchir du carcan des influences matérielles. Et plus l’on reprend conscience de sa véritable nature, plus l’on aspire à combler non plus ses désirs personnels et égoïstes, mais bien ceux de l’Être suprême en se mettant tout entier à son service avec amour.

Là se trouve la véritable libération.

Car pour s’affranchir des angoisses et des tourments inhérents à l’existence matérielle, il ne suffit pas de renoncer à son individualité en cherchant à se fondre dans l’Absolu, comme le prétendent les impersonnalistes. Il s’agit plutôt de renouer consciemment et activement avec la source de tout ce qui existe.

Source que ce mantra décrit comme l’Être suprême, soit le plus grand de tous les êtres, par rapport auquel tous les autres êtres sont comme des mendiants, entièrement dépendants de lui pour la satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs.

L’Être suprême se suffit parfaitement à lui-même; il ne dépend de rien ni de personne. Rien ne peut non plus le souiller. Au contraire, tout ce qui entre en contact avec lui devient purifié. On le compare en cela au soleil, qui reste toujours pur même lorsqu’il absorbe l’humidité des marais ou les odeurs qui s’échappent des déchets. Or, si le soleil, qui est un objet matériel, possède un tel pouvoir, imaginons quelles peuvent être la puissance et la pureté du Seigneur des seigneurs!

En soulignant ces vérités, ce mantra de l’Isha Upanishad nous donne à comprendre qu’on peut soi-même s’affranchir de la souillure de toute conception erronée de l’existence et de sa propre nature en cultivant la conscience divine de notre relation éternelle avec l’Infiniment fascinant.

Isha Upanishad – Mantra 8