

Suite de la série consacrée aux quatre versets de la Bhagavad-gita tenus pour incarner l’essence de ce monument de sagesse.
Voir le volet précédent.
Nous avons vu que les deux premiers de ces quatre versets de synthèse établissent la suprématie de Krishna – l’infiniment fascinante manifestation personnelle de la Vérité absolue – et que ceux et celles qui en prennent conscience en font le centre de leur existence et éprouvent une satisfaction grandissante à le connaître, à s’entretenir de lui et à chanter ses gloires.
Or, de même que les âmes individuelles sont attirées vers le Divin comme par un aimant, l’Âme suprême est tout naturellement attirée par les êtres qui se vouent à elle dans la mesure de leurs efforts pour se rapprocher d’elle. Et c’est de ce retour de balancier, de cet échange réciproque que traitent les deux derniers versets de notre quatuor.
Sensible à la quête des spiritualistes qui cherchent à toujours mieux le connaître et à servir ses desseins, le Bienheureux déclare d’emblée qu’il leur donne l’intelligence (dadāmi buddhi-yogaṁ tam) par laquelle ils peuvent aller à sa rencontre et entrer en relation avec lui (yena mām upayānti te).
Un cercle vertueux
Notre destinée est façonnée par nos choix. Cependant, le monde dans lequel nous vivons est si complexe que nous sommes souvent désemparés face aux choix cruciaux de l’existence, notamment en ce qui a trait au but à atteindre pour se réaliser pleinement et au chemin à emprunter pour y parvenir.
C’est ainsi que même les personnes qui reconnaissent la suprématie du Divin et qui s’engagent dans la voie du yoga – de la réunion avec le Divin – en cultivant la connaissance de leur identité spirituelle et en agissant de manière à l’exprimer peuvent être déroutées par les aléas de la vie et par les innombrables sollicitations auxquelles elles sont exposées. C’est pourquoi le Seigneur des seigneurs, loin de les laisser à elles-mêmes, se fait une joie de les guider de l’intérieur en leur donnant l’intelligence de voir les choses telles qu’elles sont de même que la voie à suivre pour ne pas s’égarer en chemin.
Autrement dit, le terme buddhi-yogam revêt dans ce verset un double sens. Le premier repose sur l’intelligence (buddhi) qui conduit à la quête de l’Absolu (yoga). Le second tient à ce que tout effort pour se rapprocher de l’Absolu (yoga) attire l’attention et la grâce du Divin, qui accorde en retour l’intelligence (buddhi) nécessaire pour aller à lui en faisant des choix éclairés au moment de prendre des décisions déterminantes aux grands carrefours de la vie.
La juste disposition d’esprit
Cette réciprocité découle d’un facteur important souligné dans la première partie de notre verset, à savoir l’état d’esprit dans lequel s’inscrit la quête de l’Absolu. Si cette quête n’est motivée que par un désir de compréhension théorique des différentes facettes de la réalité, elle a en effet peu de chance d’émouvoir le Divin.
Lorsqu’on se trouve en présence d’une personne dont les paroles et les gestes indiquent qu’elle n’a que faire de nous, sans doute cherche-t-on nous-mêmes à nous en distancer et à la laisser à ses affaires. Même si nous avons quelque chose de valeur à lui offrir, elle se montrera peu disposée à nous écouter.
Le Bienheureux agit de même avec ceux qui ne manifestent aucune intention de se rapprocher de sa personne. Il réciproque avec eux en gardant ses distances. Seuls les spiritualistes qui se vouent affectueusement à son service (prīti-pūrvakam) en cherchant à toujours mieux le connaître pour toujours mieux se rapprocher de lui l’incitent irrésistiblement à leur accorder toute son attention.
Cette disposition aimante est en effet nécessaire afin d’attendrir suffisamment notre cœur pour être ouvert à recevoir la miséricorde divine. Car, tant que nous manifestons quelque réserve ou résistance à l’endroit du Seigneur des seigneurs, nous ne pouvons accueillir que très partiellement et imparfaitement les indications qu’il nous donne pour nous guider vers le but ultime de l’existence.
Donnant donnant
L’insistance sur la notion de réciprocité souligne l’importance de la dimension relationnelle de la spiritualité vivante. Il se peut que les philosophes impersonnalistes et les yogis en quête de pouvoirs surnaturels se satisfassent temporairement de la réalisation passive du Brahman ou de la méditation contemplative sur l’aspect omniscient de l’Absolu. Dans les versets à l’étude, Krishna explique cependant que l’échelle du yoga culmine dans la bhakti.
Lorsqu’on en vient à réaliser que la source de tout ce qui existe ne peut qu’être une personne, sans quoi elle serait inférieure à sa création, on devient avide de mieux la connaître et d’échanger face à face avec elle. C’est alors que se noue une relation toute personnelle fondée sur des échanges de plus en plus inspirants et valorisants.
Comme le révèle le présent verset, la première forme de réciprocité qu’engendre cette relation de la part de la Personne suprême tient précisément à cette précieuse intelligence qu’elle confère aux minuscules personnes que nous sommes pour nous aider à franchir les jalons qui nous conduiront jusqu’à elle. Un cadeau des plus précieux qu’il ne tient qu’à nous de mettre à profit.
À suivre….