

Suite et fin de la série consacrée aux quatre versets de la Bhagavad-gita tenus pour incarner l’essence de ce monument de sagesse.
Voir le volet précédent.
Résumons la substance des quatre versets quintessentiels de la Bhagavad-gita en reprenant la métaphore du fils oublié évoquée dans le premier volet de cette série.
Un jeune homme en vient à apprendre qu’il est le fils oublié du richissime potentat d’un royaume lointain, séparé de lui à sa naissance. Cette étonnante nouvelle l’inspire à prendre contact avec lui dans l’espoir de tisser des liens filiaux avec son père.
Le premier verset indique de même que la connaissance inspire un désir de relation avec l’objet de cette connaissance. Lorsque nous apprenons que les âmes que nous sommes sont d’infimes émanations du Tout-puissant, il est naturel que nous cherchions à nous rapprocher de lui.
Chemin faisant vers le royaume de son père, le jeune homme rencontre ses frères et sœurs, se lie d’amitié avec eux et en apprend de plus en plus sur son père.
Ainsi le deuxième verset indique-t-il que la quête d’une relation sentie avec le Divin contribue à enrichir la connaissance que nous avons de lui. En tant qu’enfants de notre père commun, nous nous lions naturellement à d’autres pèlerins cheminant de même vers la demeure ultime, et apprenons à travers eux à mieux connaître le Seigneur des seigneurs.
Lorsque le père du jeune homme apprend que son fils oublié tente de le joindre et d’entrer en relation avec lui, il fait tout pour faciliter son voyage en lui procurant les commodités nécessaires.
Le troisième verset indique qu’une disposition affectueuse envers l’objet de sa quête, à savoir l’Infiniment fascinant en personne, rend le cœur réceptif au savoir que ce dernier lui prodigue pour l’aider à faire les bons choix au fil de sa démarche. En imprégnant notre spiritualité de bhakti, – d’amour et de dévotion –, nous touchons le cœur de Krishna, qui nous procure spontanément toutes les ressources nécessaires pour aller jusqu’à lui, comme il l’a fait avec Arjuna.
Lorsque le fils oublié fait face à des défis qu’il ne peut surmonter seul, son père redouble d’effort pour l’aider à revenir à lui.
Ainsi le quatrième verset indique-t-il que lorsque son fils dévoué se trouve plongé dans le doute ou la perplexité, le Seigneur présent dans son cœur y allume personnellement le flambeau du savoir pour l’aider à retrouver sa voie. Les connaissances acquises peuvent amorcer et stimuler notre quête de l’Absolu, et s’il advient qu’un manque de connaissance ralentit ou entrave notre progression, le Bienheureux s’empresse d’honorer de retour l’affection que nous lui vouons en comblant cette lacune de par sa grâce insigne.
Le plus secret des savoirs
Il ressort à l’évidence de ces versets que, sous l’angle de la pensée védique, la spiritualité n’a rien de statique. En seulement huit courtes lignes sanskrites, ils témoignent en effet d’un dynamisme empreint de révélations, de don de soi, de réciprocité, d’échanges affectueux, d’illumination et de bonheur grandissant ancré dans la pleine conscience.
C’est que le savoir ne doit pas demeurer théorique. La connaissance de notre véritable nature et de celle de l’Absolu demande à être pleinement réalisée et traduite en actions. Ce qui m’amène à rappeler que, dans l’esprit des maîtres de la sagesse, une philosophie dépourvue d’expression à travers une spiritualité vivante n’est qu’élucubration et jonglerie mentale. Et qu’inversement, une spiritualité dépourvue d’assise philosophique n’est que sentimentalisme, voire pur fanatisme chez ceux qui pratiquent aveuglément leur spiritualité dans le cadre d’une religion exclusiviste.
Tout au long de la Bhagavad-gita, Krishna répond aux questions d’Arjuna sur le sens de sa vie et le but de son existence. Il lui présente divers moyens d’apaiser ses appréhensions et ses tourments, de dissiper ses doutes et de résoudre ses contradictions profondes. Il lui expose différentes voies de réalisation de soi, en soupèse les avantages et les limites, et conclut son propos en lui disant:
«Je t’ai transmis le plus secret des savoirs. Maintenant, réfléchis mûrement, puis agis comme il te plaira.»
Bhagavad-gita 18.63
Et la partie la plus secrète de ce savoir réside précisément dans nos quatre versets centraux. Les éléments constituants en sont dévoilés et expliqués en divers points du dialogue entre Krishna et Arjuna, mais ces quatre versets ont le mérite de les réunir en un ensemble succinct et cohérent, tout en faisant ressortir que la plus haute forme de yoga et de spiritualité vivante est finalement celle qui fait la place belle à l’amour et aux doux et riches échanges auquel il donne lieu.
Pour mémoire, je vous laisse donc ici sur les paroles mêmes du Bienheureux:
ahaṁ sarvasya prabhavo mattaḥ sarvaṁ pravartate
iti matvā bhajante māṁ budhā bhāva-samanvitāḥ
«Je suis la source des mondes spirituel et matériel; de moi tout émane. Les sages qui connaissent parfaitement cette vérité me servent et m’adorent de tout leur cœur.»
Bhagavad-gita 10.8
mac-cittā mad-gata-prāṇā bodhayantaḥ parasparam
kathayantaś ca māṁ nityaṁ tuṣyanti ca ramanti ca
«Mes purs dévots absorbent leurs pensées en moi et vouent leur existence à mon service. Ils s’entretiennent de moi sans fin, ils s’éclairent les uns les autres, et y trouvent une satisfaction et une joie immenses.»
Bhagavad-gita 10.9
teṣāṁ satata-yuktānāṁ bhajatāṁ prīti-pūrvakam
dadāmi buddhi-yogaṁ taṁ yena mām upayānti te
«À ceux qui toujours me servent avec amour et dévotion, je donne l’intelligence par laquelle ils peuvent venir à moi.»
Bhagavad-gita 10.10
teṣām evānukampārtham aham ajnāna-jaṁ tamaḥ
nāśayāmy ātma-bhāva-stho jñāna-dīpena bhāsvatā
«Présent dans leur cœur, je les bénis d’une grâce spéciale en dissipant du flambeau lumineux de la connaissance les ténèbres nées de l’ignorance.»
Bhagavad-gita 10.11
Oṁ Tat Sat