Avant de monter aux barricades, laissez-moi vous expliquer…
Les spécialistes de l’Inde antique sont formels : aucune religion de ce nom n’a jamais été fondée par qui que ce soit, et il n’existe aucune trace du mot « hindou » dans les langues ancestrales que sont le sanskrit et le tamoul. Mais d’où vient-il, alors?
En remontant à l’époque des conquêtes d’Alexandre le Grand, au 4e siècle avant notre ère, on découvre qu’après avoir franchi le fleuve Sindhu, il le rebaptisa du nom d’«Indus» pour en faciliter la prononciation par les Grecs. Et c’est ainsi que ses armées en sont venues à appeler «Inde» le pays situé à l’est de ce fleuve.
Par la suite, les envahisseurs musulmans ont toutefois renommé ce même fleuve «Hindou», car dans leur langue – le parsi –, le «s» se prononçait comme un «h», si bien qu’ils donnèrent au pays à l’est du fleuve le nom d’«Hindoustan», et celui d’«Hindous» à ses habitants.
Le mot hindoo (aussi écrit hindu) ne fait son entrée dans la langue anglaise qu’au 17e siècle. S’il désigne toujours, au départ, les habitants de l’Inde devenu l’Hindoustan, il en vient graduellement à désigner plus précisément les personnes ayant choisi de rester fidèles aux pratiques rituelles et spirituelles de leurs ancêtres plutôt que de se convertir à l’islam.
C’est ainsi qu’au 19e siècle, par souci de simplification, les Anglais inventent le mot hinduism – devenu «hindouisme» en français – pour regrouper les diverses doctrines, croyances et pratiques du sous-continent indien en un système unifié, sur le modèle des grandes religions connues des Occidentaux de l’époque.
Erreur! Les multiples traditions spirituelles qui prévalent en Inde sont en fait autant de «religions» distinctes, et souvent mutuellement exclusives, qu’il s’agisse du shivaïsme, du jaïnisme, du sikhisme ou du vaishnavisme, pour n’en nommer que quelques-unes. Toutes les formes de cultes qui en dérivent ont leurs propres coutumes, leurs propres pontifes et leurs propres guides spirituels, parfaitement indépendants les uns des autres.
Reste que, même si le mot «hindou» tire son origine de considérations purement géographiques, et même si l’«hindouisme» est né de l’imagination d’intellectuels occidentaux, ces mots ont fait leur chemin dans l’usage. Si bien que les Indiens d’obédience religieuse – toutes doctrines confondues – ou simplement traditionalistes dans l’âme ont fini par se dire eux-mêmes collectivement «hindous», tout en sachant qu’ils pratiquent en fait des douzaines de religions différentes, si tant est qu’ils en pratiquent une! En ce sens, on peut donc en quelque sorte dire que l’hindouisme «existe», mais sans avoir jamais vraiment existé.