La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…

Voir l’épisode précédent.

Les Pandavas de nouveau au grand jour

De retour dans sa capitale, le roi Virata s’étonnait de l’absence de son fils. Les dames du palais l’informèrent de l’attaque des Kourous et lui expliquèrent qu’Uttarakoumara était parti leur reprendre les vaches volées en compagnie de Brihannala.

Virata voulut naturellement envoyer du renfort à son fils, mais Youdhishthira lui dit:

— Ô roi, ne t’en fais pas pour Uttarakoumara. Avec Brihannala qui tient les rênes de son char, ton fils ne court aucun danger. Il saura vaincre ses ennemis, quels qu’ils soient.

C’est d’ailleurs à ce moment même que la nouvelle de la victoire d’Uttarakoumara sur les Kourous parvint aux oreilles du roi. On l’informa aussi que les vaches avaient été retrouvées. Fou de joie, Virata fit décorer la ville pour accueillir son fils et invita Youdhishthira à jouer avec lui une partie de dés. Au cours de la partie, le roi dit à Youdhishthira:

— N’est-il pas merveilleux que mon fils, à lui seul, ait vaincu les Kourous, eux pourtant si puissants?

— Si ton fils a remporté la victoire, ô roi, c’est en fait grâce à la présence de Brihannala à ses côtés.

— Imbécile! rétorqua le roi en colère. Comment oses-tu comparer mon fils à un eunuque! Je te pardonne cette offense, car tu es mon ami, mais si tu tiens à vivre, ne dis plus jamais de telles sottises.

Youdhishthira continua cependant à vanter les prouesses de son frère, et le roi, pris de rage, lança les dés au visage de Youdhishthira, qui se mit à saigner du nez. Il demanda aussitôt à Draupadi d’apporter un vase rempli d’eau pour recueillir son sang, tout juste au moment où le prince Uttarakoumara faisait son entrée dans le palais, suivi de Brihannala. Youdhishthira souffla alors ces mots à l’oreille de Draupadi:

— Dis à Arjuna de ne pas entrer tout de suite dans cette salle. Il a fait le vœu de tuer quiconque versera mon sang. S’il apprend ce qui vient de se passer, il tuera le roi Virata sans préavis.

Draupadi transmit son message, et Uttarakoumara entra seul dans la pièce.

Voyant le visage ensanglanté de Youdhishthira, le prince demande à son père:

— Qui a osé s’en prendre à lui?

— C’est moi qui l’ai frappé, dit Virata. Il attribuait ta victoire à cet eunuque de Brihannala.

— Tu devrais néanmoins t’excuser de t’être ainsi laissé emporter.

Ce que fit le roi pour faire plaisir à son fils.

Sur ces entrefaites, Brihannala fit son entrée et offrit son hommage au roi, qui voulut tout savoir des récents événements.

— Dis-nous, mon fils, comment tu as eu raison de Bhishma et de Drona, le maître d’armes des Kourous. Raconte-nous aussi comment tu as pu vaincre au combat le grand Karna, ainsi que Duryodhana.

— En vérité, mon père, ce n’est pas moi qui ai récupéré les vaches et vaincu les Kourous. Tout est l’œuvre d’un déva. J’avais peur des Kourous et je ne songeais qu’à déserter le champ de bataille, mais cet être céleste m’a convaincu de combattre à ses côtés. J’ai conduit le char pendant qu’il faisait entendre raison à nos adversaires.

— Où est donc maintenant ce valeureux guerrier?

— Après avoir neutralisé les plus grands guerriers de ce monde, il a disparu. Il m’a cependant fait savoir qu’il reviendrait te voir d’ici quelques jours.

La vérité se fait jour

Le roi Virata ignorait bien entendu que le déva en question était en réalité Brihannala, Arjuna, mais trois jours plus tard, les Pandavas entrèrent dans la cour du monarque vêtus et parés de royale façon. Les voyant dans ces atours tels des habitants des planètes édéniques, Virata ne se contient plus.

— Hier, tu étais mon serviteur, dit-il à Youdhishthira. Comment oses-tu aujourd’hui te présenter ainsi?

Arjuna intervient alors avec tact:

— Cet homme, ô roi, mérite de s’asseoir sur le trône d’Indra lui-même. Il est versé dans le savoir védique. Il possède une maîtrise parfaite de ses sens et ne s’identifie nullement à son corps de matière. Il voit tous les êtres vivants d’un même œil. Nul être sur Terre ou sur quelque autre planète n’est son égal. C’est un rajarshi, un sage parmi les rois, la justice personnifiée.

Sache qu’en vérité, il n’est nul autre que le roi Youdhishthira en personne, celui-là même qu’on célèbre dans les trois mondes. Avant son exil, chaque fois qu’il se déplaçait, dix mille éléphants le suivaient ainsi que trente mille chars incrustés d’or, tirés par les meilleurs chevaux. Tous les rois de la Terre lui ont payé tribut lors du grand sacrifice rajasouya. Ses qualités et ses vertus sont innombrables. Voilà pourquoi il se présente ainsi en ce jour béni.

Le roi Virata, pour le moins confus, demande alors à Arjuna:

— S’il est bien Youdhishthira, où sont Bhima, Arjuna, Nakoula et Sahadéva? Et Draupadi, où est-elle? Nous avons tous ouï dire que les Pandavas vivaient dans la forêt, incognito.

— Ô roi, ton cuisinier, Vallabha, est le puissant Bhima. C’est lui qui a tué les Rakshasas Baka et Hidimba, ainsi que le commandant de tes armées, Kitchaka. Nakoula est celui qui prenait soin de tes chevaux, tandis que Sahadéva s’occupait de tes vaches. La servante de ton épouse est la belle et chaste Draupadi, une émanation de la déesse de la fortune. Quant à moi, je suis Arjuna, celui qui l’autre jour a eu raison des Kourous. Nous avons tous vécu chez toi sous le couvert de nos identités empruntées au cours de la dernière année de notre exil.

Le roi Virata reconstitua les événements et réalisa enfin ce qui s’était passé. En guise de reconnaissance, il offrit à Arjuna la main de sa fille Uttara. Il implora en outre les Pandavas de lui pardonner toute offense qu’il aurait pu commettre à leur endroit. Arjuna refusa cependant de prendre la princesse pour épouse.

— Ta fille sera plutôt ma bru, ô souverain. Au cours des mois passés à ses côtés, elle me voyait comme un père, et je m’occupais d’elle comme de ma propre fille. Mon fils Abhimanyu sera pour elle un bon époux.

C’est sur cette note que prit fin l’exil des Pandavas. Le roi Virata organisa une grande fête en l’honneur du mariage de sa fille, et Arjuna en profita pour inviter le Seigneur Krishna, son frère Balaram ainsi que les membres de la dynastie Yadou et plusieurs autres rois afin de célébrer le retour au grand jour des Pandavas.

À suivre…

L’épopée du Mahabharata – Épisode 60