La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…

Voir l’épisode précédent.

Arjuna dévoile son identité

Ayant appris que le roi Virata avait perdu Kitchaka, le commandant de ses armées, les Kourous décidèrent de l’attaquer et de lui voler ses vaches. Duryodhana et ses acolytes pénétrèrent dans le royaume de Virata, en chassèrent les pâtres et s’emparèrent de soixante mille vaches. Les pâtres allèrent aussitôt alerter le roi, mais ce dernier était absent. Ils s’en remirent donc à son fils, Uttarakoumara, qui leur dit:

— Il me fera grand plaisir de venger cet affront. Il me faudrait cependant trouver un conducteur pour mon char. Je pourrai alors facilement vaincre Karna, Drona, Duryodhana et leurs alliés. Je combattrai avec tant de vaillance que les Kourous croiront se battre contre Arjuna!

Informé de ces paroles, Arjuna dit à Draupadi:

— Fais savoir à Uttarakoumara que Brihannala a jadis été le conducteur du char d’Arjuna.

Draupadi s’exécuta sur-le-champ, mais le fils du roi ne la prit pas au sérieux. Elle insista cependant:

— Si Brihannala conduit ton char, je peux t’assurer que tu vaincras les Kourous et retrouveras tes vaches.

Finalement convaincu, Uttarakoumara fit venir Brihannala et lui demanda de conduire son char pour l’aider à vaincre les Kourous et à retrouver ses vaches.

À la vue de la vaste armée des Kourous, conduite par Duryodhana, Karna, Drona et Bhishma, le prince sentit se dresser tous les poils de son corps et la peur l’envahir. Il n’eut plus qu’une idée en tête, et c’était de battre en retraite. Arjuna eut beau tenter de l’en dissuader, la frayeur d’Uttarakoumara était si dévorante qu’il sauta de son char et s’enfuit en courant, faisant complètement fi de son honneur. Arjuna, vêtu de soie et cheveux bouclés en eunuque qu’il était censé être, partit alors à sa suite afin de le rattraper. Devant ce spectacle, les Kourous éclatèrent joyeusement de rire tout en se demandant qui pouvait bien être ce travesti! Ils crurent néanmoins reconnaître Arjuna en lui, tant par ses traits corporels que par sa démarche.

Inversion de rôles

Arjuna rattrape finalement le prince et le ramène à son char en le traînant par les cheveux.

— Si tu ne veux pas combattre, lui dit-il, alors conduis le char, et je me battrai, moi, avec les Kourous. Ne laisse pas la peur t’envahir.

Les rôles ainsi inversés, Arjuna demande à Uttarakoumara de le conduire aux confins de la ville, là où se trouve l’arbre au sommet duquel les Pandavas avaient caché leurs armes. Il lui enjoint ensuite d’aller chercher le sac qui se trouve tout en haut de l’arbre.

— Ne crains rien, lui dit-il, ce n’est pas un cadavre. Cette peau d’animal renferme des armes. Prends l’arc qui s’y trouve et apporte-le moi.

Uttarakoumara s’exécute et se voit frappé d’émerveillement en apercevant l’arc incrusté d’éléphants en or et de pierres précieuses.

— À qui appartiennent donc ces armes? demande-t-il à Arjuna en lui remettant l’arc et un carquois plein de flèches à pointes en or. Dis-le-moi franchement, je t’en prie.

— Cet arc, Gandiva, appartient à Arjuna. Sa puissance vaut celle de cent mille arcs. Le seigneur Shiva l’a eu en sa possession pendant mille ans, Indra – le roi des planètes édéniques – pendant quatre-vingts ans, Soma pendant cinq cents ans, et le déva Varouna pendant cent ans. Arjuna en a la garde depuis maintenant soixante-cinq ans.

— Mais où sont actuellement les Pandavas? Et où se trouve leur reine, Draupadi?

— Sache qu’en vérité, je suis Arjuna, qu’on nomme aussi Partha, car je suis le fils de Pritha. Le conseiller de ton père est Youdhishthira, son cuisinier est Bhima, son écuyer est Nakoula, et Sahadéva s’occupe de ses vaches. La servante de Sudeshna est notre reine, Draupadi.

— Je ne te croirai que si tu peux me dire quels sont les dix noms d’Arjuna.

— Très bien, ô fils de Virata. Mes dix noms sont Arjuna, Phalguna, Jishnu, Kiriti, Svetavahana, Bhibatsu, Vijaya, Krishna, Savyasacin et Dhanañjaya.

Après qu’Arjuna lui eut expliqué la signification de chacun de ses noms, le prince ne put que se répandre en excuses. Sa peur était désormais dissipée, et il était prêt à livrer bataille.

Arjuna enleva quant à lui ses parures de travesti et souffla dans sa conque, dont les Kourous ne manquèrent pas de reconnaître le son, ce qui remplit leurs cœurs d’effroi. Duryodhana et Karna s’efforcèrent alors d’encourager leurs troupes au combat. Pendant ce temps, Arjuna s’approcha de l’armée adverse et décocha deux flèches qui tombèrent respectivement aux pieds de Bhishma et de Drona. Ainsi offrait-il son hommage à son grand-père et à son maître d’armes au terme de treize années d’exil. Il lança ensuite deux autres flèches qui effleurèrent les oreilles de Bhishma et de Drona, signifiant par là qu’il était prêt à livrer bataille contre eux.

S’ensuivit un affrontement au cours duquel les vaches dérobées retournèrent d’elles-mêmes aux pâturages de Virata. Malgré une lutte acharnée contre Arjuna, les Kourous ne purent le vaincre. Aucun héros ne mourut au combat, mais Duryodhana et les siens retournèrent à Hastinapoura la tête basse, humiliés par Arjuna.

Arjuna et Uttarakoumara allèrent ensuite remettre les armes des Pandavas dans le sac de cuir, tout en haut de l’arbre où elles se trouvaient auparavant, et Arjuna dit au prince:

— Tu diras à ton père que c’est toi qui a gagné la bataille. Et, surtout, ne lui révèle pas encore ma véritable identité, ni celle de mes frères.

À suivre…

L’épopée du Mahabharata – Épisode 59