

La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
La treizième année d’exil
Venue l’aube de la treizième année de leur exil, les Pandavas doivent choisir un endroit où ils pourraient vivre incognito. Arjuna suggère le royaume du roi Virata, et Youdhishthira est d’accord. Il se déguisera en brahmana, Bhima en cuisinier, Arjuna en professeur de danse, Nakoula en écuyer et Sahadéva en pâtre. Quant à Draupadi, elle se joindra aux servantes des épouses du roi Virata. Après avoir fait leurs adieux à Dhaumya, leur guide spirituel, et aux autres brahmanas qui les avaient accompagnés durant leur exil, les Pandavas mettent le cap sur le royaume de Virata.
Arrivés aux confins de la ville, Youdhishthira demande à Arjuna:
— Où laisserons-nous nos armes pendant l’année qui vient? Ton arc, Gandiva, est devenu célèbre. Si on le reconnaît, il nous faudra revenir passer douze autres années dans la forêt.
— Nous envelopperons nos armes dans une peau d’animal, lui répond Arjuna, et nous les déposerons au sommet d’un arbre isolé, non loin d’ici.
Chose dite, chose faite. Quelques paysans témoins de la scène crurent qu’il s’agissait d’un cadavre enveloppé, et les Pandavas leur donnèrent raison en précisant qu’il s’agissait de la dépouille de leur mère, décédée à l’âge de cent quatre-vingts ans…
Youdhishthira attribue à lui-même et à ses frères des noms d’emprunt à utiliser entre eux en cas d’urgence – Jaya, Jayanta, Vijaya, Jayatsena et Jayatbala – et prie ensuite la déesse Durga de les protéger au cours de cette treizième année. La déesse apparaît alors à Youdhishthira et l’assure que ni lui ni ses frères ne seront démasqués, et qu’ils retrouveront leur royaume après cette dernière année d’exil.
Tour à tour
Les Pandavas entrent finalement tour à tour dans la capitale de Virata, à commencer par Youdhishthira qui, déguisé en brahmana, se présente au palais du roi.
— Je m’appelle Kanka, dit-il au souverain. Auparavant, j’étais le conseiller du grand roi Youdhishthira. Mais maintenant qu’il vit dans la forêt, je viens chercher refuge en toi.
— À te voir, lui répond Virata, on te croirait le roi de ce pays. Nous mangerons la même nourriture et conduirons le même char. Ensemble, nous déciderons de l’avenir du royaume. Tu n’as rien à craindre de personne ici.
Quelques jours plus tard, Bhima fait son entrée au palais, cuiller et louche en main, et dit au roi:
— Je m’appelle Vallabha et je suis cuisinier. J’étais au service du roi Youdhishthira avant son exil, et il se plaisait à manger les plats que je lui préparais. Je connais aussi l’art de la lutte, et pour ton plaisir, je suis prêt à affronter tigres et lions.
Il n’en fallait pas plus pour que Virata en fasse son chef cuisinier.
C’est ensuite au tour de Draupadi de faire son entrée dans la ville. Vêtue de haillons et coiffée d’un foulard pour dissimuler la beauté de ses cheveux de jais, elle n’en pique pas moins la curiosité de Sudeshna, une des reines de Virata, qui lui demande:
— Qui es-tu? Et que cherches-tu?
— Je m’appelle Sairindhri, ô reine, et si tu le veux bien, je serai ta servante.
— Je ne peux croire que tu sois une servante. Ta beauté est digne des femmes des planètes célestes. D’où viens-tu?
— Je suis bien une servante, ô reine. J’ai d’abord servi Satyabhama, la reine préférée de Krishna, puis Draupadi, la reine des Pandavas. Je vis désormais seule, comme une mendiante.
— Je pourrais te prendre sous mon aile, mais si le roi te voit, il tombera sous le charme de ta beauté et me délaissera pour toi. Aucun homme ne saurait te résister.
— Sache, ô reine, que ni Virata ni aucun autre ne pourra me toucher, car je suis protégée par mes cinq époux, qui sont des Gandharvas. Tout homme qui tentera de me posséder trouvera la mort le jour même.
Sudeshna finit donc par accueillir Draupadi dans ses quartiers.
Les jours passant, Sahadéva, vêtu en pâtre, se fait admettre au palais de Virata, à qui il explique qu’il s’est jadis occupé des vaches du grand roi Youdhishthira, et qu’il souhaite entrer à son service.
Puis Arjuna, habillé en femme, fait son entrée, et à sa vue, le roi est tout aussi ébahi qu’à celle de ceux qui l’ont précédé. Ils ont tous l’allure de conquérants, mais se présentent à lui comme de simples serviteurs.
— Tu ressembles à s’y méprendre à un déva, lui dit Virata. Tu possèdes vraisemblablement une grande force, et tu n’es certes pas un travesti, comme tu sembles vouloir le faire croire.
— Je chante, je danse et joue de la musique, lui répond Arjuna. Je m’appelle Brihannala et je suis orphelin. J’aimerais enseigner mon art à ta fille Uttara.
— Tu as tout d’un eunuque, de sorte que tu ne risques pas de déshonorer ma fille. Je me plierai donc à ta requête, mais je n’en persiste pas moins à croire que tu pourrais gouverner la Terre entière.
Le dernier des cinq frères à se présenter est Nakoula, qui, après avoir expliqué à Virata qu’il avait pris soin des chevaux de Maharaja Youdhishthira, se voit confier la garde des écuries du roi.
C’est donc ainsi que les Pandavas entreprirent de passer leur dernière année d’exil dans le royaume de Virata, et sans que personne ne puisse détecter leur présence. Il arrivait parfois que les espions de Duryodhana visitent les lieux, mais comme les Pandavas étaient sous la protection directe et personnelle du Seigneur Krishna, personne ne pouvait les reconnaître, pas même en les rencontrant face à face!
À suivre…