Photo de Jamie Street

Traduction et adaptation d’un article de Thomas Mallery paru dans la revue Back to Godhead.

L’expression «le meilleur ami de l’homme» fait spontanément référence au chien en raison du lien particulier qui les unit, un lien empreint d’affection, de compassion, de loyauté et de compréhension mutuelle intuitive.

Fait intéressant, la Bhagavad-gita emploie cette même expression en lien avec le mental, à cela près qu’il peut être notre meilleur ami, mais aussi notre pire ennemi.

«Le mental peut aussi bien être l’ami que l’ennemi de l’être incarné. Pour qui l’a maîtrisé, le mental est le meilleur ami. Mais pour qui y a échoué, il demeure le pire ennemi.»
Bhagavad-gita 6.5-6

C’est que notre rapport au mental est beaucoup plus complexe que notre rapport au chien. De fait, il est plutôt rare qu’on l’élève au statut de meilleur ami. Pour tout dire, on le considère le plus souvent comme un ennemi en ce qu’il nous plonge tour à tour dans le stress, l’angoisse, la peur, la dépression, l’insécurité, le doute et la confusion. Mais ce ne sont là que les symptômes d’un mental non maîtrisé.

Un chiot ne finit par devenir notre meilleur ami qu’une fois dûment dressé. Faute d’un entraînement approprié, peu de chiens accèdent au rang d’inséparables et fidèles compagnons. Et il en est de même du mental. Cela dit, alors que nous considérons la nécessité de dresser un chiot comme relevant du simple bon sens, nous avons tendance à prendre le mental tel qu’il est – capricieux, agité et indiscipliné – sans nous soucier de le mettre au pas.

Faute d’avoir été formés en ce sens dès notre plus tendre enfance, la grande majorité d’entre nous fait montre de complaisance à l’égard du mental et le laisse nous aboyer ses ordres. Les impressions fugaces et changeantes que le monde extérieur ne cesse de susciter en nous façonnent le mental et ses modes de réaction face aux aléas de notre existence. Autrement dit, le mental se voit contrôlé par l’énergie matérielle qui stimule nos sens de mille et une façons, et les êtres incarnés que nous sommes sont spontanément contrôlés par le mental.

Le mental ayant largement l’habitude d’être laissé à lui-même et de nous voir obéir à ses commandements, sinon faire ses quatre volontés, il va sans dire que sa maîtrise demande de la pratique. Or, comme Arjuna le dit si bien à Krishna sur le champ de bataille de Kouroukshétra, le mental est fébrile, impétueux, puissant et obstiné; le subjuguer lui semble donc plus ardu que maîtriser le vent. Mais bien que nous ne puissions contrôler le vent, rien ne nous empêche de revoir notre rapport au mental. De même qu’un chiot ne reste follement incontrôlable que tant et aussi longtemps qu’on ne s’applique pas à le dresser, le mental peut être maîtrisé en adoptant une approche appropriée.

Voyons donc à quoi peut ressembler cette approche en nous inspirant des principes fondamentaux qui gouvernent le dressage du futur meilleur ami de l’homme.

Récompenses

Le tout premier de ces principes est que le sujet – aussi bien le mental que le chiot – ne travaillera pas pour rien. Côté canin, le renforcement positif des comportements souhaitables par voie de récompenses – friandises ou caresses – contribue efficacement à obtenir les résultats voulus. Côté mental, cependant, l’approche diffère quelque peu.

Nous avons déjà tellement renforcé les mauvaises habitudes du mental en récompensant ses moindres caprices que nous devons plutôt le conditionner à fonctionner sans toujours attendre une récompense immédiate en retour. La réelle satisfaction du mental tient en effet à sa capacité de tolérer l’absence de gratification instantanée, capacité qui ne s’acquiert qu’à condition de l’engager dans la poursuite d’une récompense supérieure.

Pour ce faire, il suffit de l’employer au service du Suprême par la pratique du yoga, qui consiste à cultiver la conscience de son lien éternel avec lui. En agissant de la sorte plutôt que pour la seule satisfaction de notre ego et de nos sens, l’hyperactivité du mental s’amoindrit peu à peu, et bien qu’il n’en tire pas toujours une récompense palpable sur-le-champ, il développe de plus en plus la sérénité, la gravité, la tolérance et la clarté nécessaires à l’application du deuxième principe de son «dressage».

Constance

Le deuxième principe de l’entraînement repose sur la constance de nos réactions. Tous les experts en dressage mettent les propriétaires de chiots en garde contre la moindre incohérence dans leurs réactions aux comportements de leur animal de compagnie. Celui-ci peut en effet s’en trouver confus, ce qui ne peut que nuire à son apprentissage. À titre d’exemple, si vous cherchez à faire en sorte que votre chien ne vienne pas quémander de la nourriture pendant que vous mangez, n’allez pas lui donner vos restes de table à la fin du repas!

Le mental a lui aussi tendance à quémander des gâteries, à nous supplier de céder à ses envies. Nous avons toutefois intérêt à l’habituer avec constance à une vie réglée et à de saines habitudes, car cela aura pour effet d’établir notre intelligence plutôt que nos sens comme maître du mental.

Comment cela fonctionne-t-il? En refusant d’obéir instinctivement aux ordres du mental, nous devenons à même de prendre le recul nécessaire pour cerner sa nature fébrile et la futilité de ses désirs. En tolérant ses agitations passagères, nous lui envoyons clairement le message qu’il n’est plus en contrôle. Et la constance dans cette approche fait alors en sorte que les épisodes d’agitation s’espacent de plus en plus et que les sollicitations d’ordre sensoriel se font de moins en moins insistantes.

Personne n’est parfait, et nos habitudes n’ont pas à être exemplaires en tout et partout. Le principe demeure toutefois que nous devons tendre avec constance vers une plus grande maîtrise de soi.

«Éphémères, joies et peines, comme étés et hivers, vont et viennent. Elles ne sont dues qu’aux perceptions sensorielles, et il faut apprendre à les tolérer, sans en être affecté.»
Bhagavad-gita 2.14



Patience

«Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage», écrivait Jean de La Fontaine. Ce troisième principe joue un rôle de premier plan dans le maintien de la constance nécessaire au dressage du chiot comme à la maîtrise du mental. La transition inhérente aux changements d’habitudes est souvent lente et éprouvante, mais lorsqu’elle vise un meilleur-être sur la voie de la pleine réalisation de soi, elle devient moins pénible et plus libératrice.

Dans tout processus d’apprentissage, la patience est essentielle à l’obtention de résultats probants. Entreprendre de détourner notre ordinateur mental de ses routines profondément ancrées revient à lui soumettre de nouvelles lignes de code afin de modifier son programme, ce qui demande du temps. Car cet ordinateur somme toute doué d’une certaine dose d’autonomie rebute à voir ses circuits imprimés de longue date remplacés par de nouveaux algorithmes.

La différence entre le mental et le chiot, c’est que ce dernier n’agit que par instinct – il n’a pas encore de programme établi –, tandis que le mental est conditionné par des vies entières passées à vouloir satisfaire ses besoins et ses désirs les plus élémentaires. Mais dans un cas comme dans l’autre, on ne saurait s’attendre à ce qu’un nouveau code de conduite soit accueilli et adopté sans rebuffades. Il faudra donc du temps au mental pour se faire au nouveau langage qui lui dicte sa conduite sous la gouverne de l’intelligence plutôt que des sens.

«Les sens prévalent sur la matière inerte, mais supérieur aux sens est le mental, et l’intelligence surpasse le mental. Te sachant toi-même – l’âme – au-delà des sens, du mental et de l’intelligence matériels, fixe ton mental dans la conscience divine par la force de l’intelligence spirituelle.»
Bhagavad-gita 3.42-43

À suivre…

Le meilleur ami de l’homme?