

Suite de la série consacrée aux quatre versets de la Bhagavad-gita tenus pour incarner l’essence de ce monument de sagesse.
Voir le volet précédent.
Après avoir informé Arjuna, dans le verset précédent, qu’il confère aux âmes avides de retourner auprès de lui l’intelligence nécessaire pour emprunter le bon itinéraire, Krishna lui rappelle ici que c’est depuis leur cœur (ātma-bhāvastho) qu’il les aide à retrouver leur chemin.
Le Seigneur des seigneurs se trouve en effet dans le cœur de chaque être sous la forme de l’Âme suprême, et c’est de là qu’il guide les pas de chacun suivant les désirs de chacun. Respectant le libre arbitre de chaque être vivant, l’intelligence qu’il donne à chacun varie selon les dispositions de chacun. Ainsi donnera-t-il à celle qui rêve de richesse ou à celui qui aspire au pouvoir l’intelligence d’atteindre leurs fins.
La plupart des gens ne songent qu’à satisfaire leurs désirs matériels, et c’est en ce sens que le Bienheureux les guide. Il n’accorde toutefois l’intelligence de revenir à lui pour partager avec lui une relation empreinte de savoir et de félicité qu’aux âmes qui reconnaissent en lui leur origine et leur finalité, et qui s’emploient à le servir en père aimant.
Dans le présent verset, Krishna renchérit en disant qu’il accorde une grâce toute spéciale (anukampā-artham) aux âmes qui cherchent ardemment à se rapprocher de lui en dissipant du flambeau de la connaissance les ténèbres nées de l’ignorance (ajñāna-jaṁ tamaḥ nāśyāmi). Ainsi non seulement leur indique-t-il la voie à suivre, mais il l’éclaire pour elles!
Touché par la grâce
Un célèbre aphorisme des Upanishads dit: «Va des ténèbres à la lumière.» Il cerne ainsi en quelques mots le but de la vie humaine. Par la métaphore des ténèbres pour représenter l’ignorance et de la lumière pour représenter la connaissance, cet aphorisme nous enjoint à cultiver le savoir? Quel savoir? Celui qui permet de passer du plan matériel, mortel et temporel, au plan spirituel, intemporel et éternel.
Comment cultiver ce savoir, se demande-t-on alors. Certains philosophes vous diront qu’il s’acquiert en procédant à une analyse intellectuelle exhaustive des caractéristiques qui distinguent le temporel de l’intemporel. Mais le quatrième verset quintessentiel de la Bhagavad-gita nous apprend qu’il n’est pas nécessaire de nous imposer une telle tâche, puisque le Maître de l’univers en personne s’engage à éclairer du flambeau de la connaissance le cœur de quiconque s’emploie à entrer en relation avec lui par la pratique du yoga.
De prime abord, il peut sembler que le quatrième de nos versets répète le troisième, dans lequel le Seigneur disait donner l’intelligence nécessaire pour le rejoindre en sa demeure. Mais l’accent repose ici sur la grâce par laquelle il témoigne de sa générosité envers ceux et celles qui se vouent tout entiers à lui. Une générosité sans borne puisque le savoir qui jaillit alors dans nos cœurs ne dépend en rien de nos facultés intellectuelles ou de nos efforts d’analyse. Il nous est gracieusement donné par pure affection en retour de notre propre affection envers le Bienheureux.
De nuances en subtilités
Est-ce à dire que nous n’avons pas à nous préoccuper d’acquérir le savoir libérateur que confère la spiritualité vivante? Absolument pas. Le spiritualiste qui s’applique à tout utiliser au service du Suprême peut très certainement mettre à profit les connaissances qu’il acquiert, ce qui l’incite tout naturellement à cultiver le savoir, et à plus forte raison le savoir qui donne de connaître la dimension spirituelle de la réalité.
Nous n’avons toutefois pas à nous inquiéter de ne pas grandir spirituellement en raison de facultés intellectuelles réduites ou affaiblies, car le Seigneur veille miséricordieusement à combler nos lacunes en ce sens lorsque nous nous en remettons en lui pour nous aider à passer des ténèbres à la lumière.
Le flambeau du savoir qu’il allume dans nos cœurs a en outre pour effet de brûler les derniers vestiges d’attachements matériels et d’identification au corps qui nous retiennent encore prisonniers des chaînes de l’illusion.
En définitive, ce qu’il faut comprendre ici, c’est que nous ne devons pas chercher à devenir nous-mêmes Dieu, ni à nous hisser jusqu’à lui par la force de nos seules pratiques, si assidues, rigoureuses et bien intentionnées soient-elles. Le message qui émane de la métaphore de ce dernier verset quintessentiel est que la spiritualité vivante n’a rien d’un procédé mécanique. On n’atteint en effet la perfection de l’existence que lorsqu’on parvient à s’attirer les faveurs du Divin. Car il n’accorde sa grâce divine et n’allume le flambeau du savoir ultime que dans le cœur de ceux et celles qui parviennent à toucher son propre cœur.
À suivre….